Luca Gargano avait annoncé leur existence et leur arrivée il y a de ça plusieurs mois, les voilà très prochainement disponibles. Ces trois très vieux rhums (millésimes 1994, 1995 et 1999) sont 100% pot still, à haut degré – rien en dessous de 60% – et bien sûr au vieillissement entièrement tropical. Cela nous fait donc de sacrés morceaux sur le papier, d’autant qu’Appleton n’avait jusqu’alors jamais proposé ce genre de rhum, leur savoir-faire et leur spécialité étant des blends de colonne et pot still, équilibrés et plutôt faciles d’accès. C’est donc réellement une première qui nous est proposée ici, une première qui met l’eau à la bouche.

Afin d’assurer la promotion et l’exposition à cette sortie, Velier a mis les petits plats dans les grands en faisant parvenir des coffrets contenant ces trois rhums au format 20cl à bon nombre de journalistes et amateurs en tous genres, le tout assorti d’une série de masterclass en présence de Joy Spence, la master blender d’Appleton et de Luca Gargano, le patron de Velier. J’ai eu la chance de recevoir ce coffret et d’être invité à une de ces masterclass. Voilà ce qu’il y a à retenir.
Luca explique que tout est parti d’une discussion avec le patron de Campari – propriétaire d’Appleton – durant laquelle il aurait exprimé un intérêt pour la dégustation de rhums 100% pot still de la distillerie jamaïcaine et sa surprise sur le fait qu’aucun rhum n’ait jamais été embouteillé tel quel. Il explique que pouvoir déguster ce genre de jus permettrait de se frotter à ce que Joy Spence a entre les mains pour réaliser ses blends, un peu comme une couleur sur la palette d’un peintre et ainsi avoir un aperçu privilégié du travail de maître assembleur.
Luca et Joy se sont rencontrés en septembre 2019 pour la première fois, afin de réaliser la sélection des fûts. Cette dernière avait présélectionné dix fûts sur les 200 000 que comptent les chais de la marque (le plus gros stock de rhum du monde d’après Luca). Et alors qu’ils ont tous les deux dégustés les dix échantillons à l’aveugle, leurs choix se sont arrêtés sur les trois mêmes. Ils ont ensuite également décidé du pourcentage d’alcool sur chacun de ses rhums ; et une fois de plus ont fait le même choix sans se concerter. Ainsi chacun des trois a vu son degré alcoolique réduit de quelques points avant la mise en bouteille. Fait intéressant, tous les rhums Appleton sont enfûtés à 80%.
Bien que l’on ne connaisse pas les marks de ces rhums, il est à noter qu’ils sont chacun d’un mark unique et qu’ils ont tous été distillés sur un Alambic Forsyth.
Pour finir, seront disponibles 3000 exemplaires de chacune des trois expressions.
Assez parlé, place à la dégustation !
J’ai décidé de déguster suivant l’ordre croissant de congénères présents.
Appleton Estate 1999 Hearts Collection – 63%

Sur le premier nez, nous avons un beau bouquet de caramel, orange, pomme et amande grillée, voire torréfiée, sans oublier un tout petit peu de colle et de solvant – pas sans rappeler un vieux Clarendon tropical. Il y a une sacrée profondeur, on se trouve comme aspiré et on sent déjà le liquide riche et opulent, pour ne pas dire épais et collant au palais, nous verrons. Le rhum étalé sur les parois du verre, c’est une toute nouvelle palette d’arômes qui apparait : fruits secs, réglisse bien noire, tabac, café, pointe fumée et une touche de menthol. Il devient clairement plus boisé et donne l’impression que l’intérieur du fût est noir, carbonisé et poisseux, même collant. C’est d’une concentration remarquable. Il mérite qu’on s’y attarde, avec une dégustation à étages, sur le haut du verre, on garde notre gourmandise, comme d’une tarte aux pommes à la frangipane et plus en profondeur c’est là que les arômes plus sombres et plus corsés se réfugient, prêts à prendre vos narines d’assaut.
En bouche, il offre vraiment une belle texture, et comme prévu, il se faufile partout. Il se développe en deux voies distinctes, avec d’un côté les fruits bien mûrs et de l’autre bois, tabac, café, réglisse et amande amère. Là encore, beaucoup d’intensité mais un certain manque de gourmandise à mon goût (ce que la seconde dégustation m’a fait relativiser). Un parallèle pourrait sans doute être fait avec de très vieux Demerara bien boisés, comme un Skeldon 1978 par exemple.
La finale est chaude et boisée. Dès le liquide avalé, on sait que cet Appleton 1999 va rester avec nous un long moment. Tabac et réglisse sont de la partie pour confirmer que cette finale est bien noire, avec malgré tout une pointe de fraicheur fruitée et mentholée en parallèle pendant quelques instants mais qui tend à disparaitre.
Il y a vraiment quelque chose. Un nez d’une rare complexité, chaque élément très concentré, c’est une sacrée expérience, avec en prime, une grosse gourmandise (en tout cas sur le nez). Il se fait un peu trop boisé par la suite, sans que cela soit rédhibitoire cependant. A ce moment-là, j’ai une petite appréhension concernant les deux autres étant donné leur âge plus avancé…
Appleton Estate 1994 Hearts Collection – 60%

Sur le premier nez, il se fait moins grillé mais on garde une partie des marqueurs. L’amande devient plus amère et le boisé – gourmand – ressort. Il devient légèrement piquant et développe un arôme d’olive verte qui le démarque. Le second nez le rapproche du 1999, avec cependant des éléments qui le différencient assez nettement : du cuir, un menthol assez fort, du caramel cuit, des feuilles de tabac séchées, du café et quelque chose de cendreux, voire fumé. Je lui trouve un côté vieux Bellevue sur ces arômes particuliers, c’est assez troublant. Comme sur son cadet, la dégustation se fait ici sur plusieurs niveaux, avec en hauteur, un gâteau pomme et orange relevé d’amande amère, pour progressivement descendre vers les éléments plus noirs. Encore une fois l’intensité est rare. Avec encore plus de temps (facilement plus d’une heure), la noix et le rancio surgissent, alliés à un peu de sève et de cannelle, ça n’en finit jamais.
La bouche est puissante et offre une petite sucrosité et une concentration mémorable. Une explosion de fruits exotiques ouvre les hostilités, qui sont vite rattrapés par l’amande, le sucre roux et le bois pour un virage moins opulent mais tout aussi riche. Puis pour compléter ce tableau l’olive verte vient pointer le bout de sa saumure et une touche métallique surprenante nous déstabilise un peu.
La finale débute par une bouffée de menthol, qui va s’éteindre progressivement pour laisser place à l’amande grillée, la noix et la réglisse mais aussi la vanille. Très étonnamment, cette finale est moins boisée et sombre que celle du 1999, la vanille, et une touche végétale permettent d’équilibrer l’ensemble et de faire en sorte que réglisse, bois et café ne soient pas les seuls maîtres à bord.
Là encore, un sacré voyage… Il nous force à une acuité sensorielle surdéveloppée. De plus, il réussit la prouesse de ne pas sombrer vers des rivages trop boisés grâce à des touches de fraicheur et de gourmandise.
Appleton Estate 1995 Hearts Collection – 63%

Sur le premier nez, il est un peu plus acide et plus vif. Ce n’est pas le plus expressif mais une facette beurrée/pâtissière fait une apparition remarquée, rapidement suivie par l’ananas et le zest d’orange. L’aération confirme sa plus grande fraicheur sur le second nez, avec cependant là encore une parenté avec les deux autres. Moins obscur, il va garder sa facette pâtissière, qui fait même penser à de la pâte à cookie, vanille comprise. Le tabac se taille une belle place tout de même et l’orange demeure, alors que quelque chose m’évoque l’abricot sec. Cette alliance fonctionne bien et se voit complétée par une touche d’olive et une petite trace de menthol ou peut-être de menthe, qui accentue sa fraicheur. Après un long moment passé dans le verre, la noix grillée et la vanille le rendent encore plus agréable (il irait presque jusqu’à me faire penser à un autre 1995 mais du Guyana celui-là). On l’imagine – comme les deux autres – en train d’envahir chaque recoin de la bouche, il est temps de vérifier.
En bouche, beaucoup de fruits à coque torréfiés en attaque pour un rhum qui va lui aussi jouer aux envahisseurs et ne va pas laisser vierge le plus petit millimètre carré (comme prévu). Légèrement astringent, il fait immédiatement saliver, ce qui aidera – un peu – à le dompter (en plus d’une discrète sucrosité). D’autres fruits, exotiques ceux-là se joignent à la fête, avant d’être conquis par des notes plus boisées et noires, comme sur les deux autres.
La finale est boisée bien sûr, mais la nature pâtissière de ce rhum demeure, ce qui est franchement pour me plaire. Comme sur son aîné, fraicheur et boisé font plutôt bon ménage. Elle va se mettre à alterner de manière saisissante entre facette boisée/réglissée/café et facette vanillée/beurrée et ce durant plusieurs minutes.
Le premier nez me faisait un peu douter des capacités de la bête mais mes doutes ont rapidement été balayés par la suite. C’est le plus pâtissier, le plus gourmand des trois et, même s’il est compliqué de choisir, sans doute mon préféré, d’une courte tête devant le 1994.

Quelle expérience ! Je suis resté facilement plus de deux heures et demi sur ces trois Appleton, sans que le temps paraisse long. Le genre de rhum qui nous écarte partiellement de la simple notion de plaisir, lorsque l’on prend conscience de leur nature unique. Ce sont les premiers mais j’imagine qu’avec des stocks aussi importants que ceux d’Appleton, ce ne seront pas les derniers (en tout cas j’espère).
Les trois ont un caractère bien trempé et bien qu’on leur trouve plusieurs marqueurs gustatifs communs (surtout entre le 1994 et le 1999), dont l’orange, ils ont chacun leur identité. Ce qui les rassemble également, c’est cette concentration phénoménale, le fait qu’une seule goutte suffise pour coloniser entièrement la bouche et profiter de leurs arômes, mais aussi que l’alcool, dans les trois, ne brûle pas et est au service du goût. Autre point intéressant, le fait qu’ils soient (à mon palais en tout cas) d’une certaine manière, quelque part à mi-chemin entre Jamaïque et Demerara (les vieux Velier j’entends). Sont-ils tous bons ? Oui. Sont-ils tous intéressants ? Oui. Sont-ils tous exceptionnels en terme de plaisir procuré ? Moins facile de répondre… ça risque vraiment de se résumer à une histoire de goût et de préférence personnelle.
Bref en quelques mots, je suis bien content d’y avoir goûter !
Petite info supplémentaire, un quatrième millésime – plus vieux, puisque distillé en 1984 – sera disponible en 2021 😉
Merci pour ces retours, ça donne très envie de se les procurer. Connais tu leur date de sortie et leur prix peut-être stratosphérique ?
Jérôme
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Bonjour Jérôme,
D’après les informations que j’ai (mais je préfère moi-même les prendre avec des pincettes), la sortie est prévue pour la semaine prochaine, quant au prix, j’ai entendu entre 200 et 250 euros la bouteille.
On devrait en savoir plus bientôt 🙂
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Salut Laurent,
Ça y est c’est sorti sur Excellence rhum à 279🌴. C’est pas donné mais tes commentaires vont me faire craquer pour le 1995 je pense. Tu ne notes plus tes dégustations ? Même si on sait qu’une dégustation dépend du moment, des personnes avec qui on est…
Encore merci pour ton blog !
Jérôme
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Salut Jérôme,
Oui un peu plus cher que ce qui avait été annoncé par Luca lors des masterclass… Moi s’il y en avait un que je prendrais ce serait aussi le 1995 comme tu t’en doutes ^^ Après, ce qui est intéressant, c’est qu’entre le 94 et le 95, ceux qui ont pu y goûter sont assez partagés.
Quant aux notes données à des rhums dégustés, je ne l’ai jamais fait (et je ne compte pas m’y mettre :)).
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