Six légendes des Antilles Françaises – Partie 1 : la Guadeloupe

Il est de ces rhums qui sont emblématiques, dont on entend parler de temps à autre et dont les photos ponctuent rarement mais régulièrement nos explorations rhumesques. Ces licornes sont anciennes, rares et bien souvent très chères mais sont-elles bonnes ? Peu sont les chanceux qui ont pu se frotter à ces rhums, alors peu sont les personnes susceptibles de se prononcer sur leur qualité gustative, d’autant qu’il est aisé de se laisser influencer par la légende. D’ailleurs, est-ce un mal ? Quand on déguste un spiritueux distillé il y a plus de 50 ans, on goûte aussi un morceau d’histoire, on est face à un alcool d’un autre temps. Pour prendre un cas extrême, si vous avez déjà eu l’occasion de lire des notes de dégustation du Saint James 1885, bien souvent le dégustateur juge à la fois le goût et le mythe/l’histoire. Et pourquoi pas. Moi, je me concentrerai cependant plus sur les arômes et le plaisir gustatif (enfin le jour où je dégusterai ce Saint James 1885, je changerai peut-être mon approche ^^).
J’ai décidé de déguster six rhums des Antilles Françaises, trois de Guadeloupe et trois de Martinique, en commençant par l’île papillon, avec LA distillerie emblématique de Grande Terre, Damoiseau et son célèbre millésime 1953 puis deux vieilleries de feu la distillerie Courcelles (qui était également installée sur Grande Terre), avec les millésimes 1972 et 1948.


Damoiseau 1953 – 42% (mis en bouteille 1984)

Damoiseau 1953 – 42% (mis en bouteille 1984) – photo Excellence Rhum

Le premier nez n’est pas fou d’intensité et ce sont essentiellement deux arômes qui s’expriment : le sucre roux et la réglisse. Ce rhum serait issu d’un mélange jus de canne et mélasse, c’est pour l’instant cette dernière qui se distingue. Le temps le rend plus gourmand, vanillé, très confit et rond et une pointe de zest d’orange fait son apparition. Etaler le précieux liquide sur les parois du verre ne va qu’accentuer cette gourmandise vanillée et maintenant un peu boisée. Puis, alors que les larmes retombent, une facette très tabac et très torréfiée surgit du fond du verre ; le boisé ici devient plus sombre. Et enfin, les minutes passent l’assagissent à nouveau pour retomber sur son profil rond et vraiment très vanillé – une petite noisette pointe même le bout de sa coque. Un nez qui semblait franchement simple pour commencer mais qui se révèle être très changeant.
La bouche est plus sur sa facette sombre, avec un boisé bien marqué, le tabac et une réglisse bien noire mais la vanille sort tout de même son épingle du jeu et apporte une douceur bienvenue. L’alcool est bien dosé (comprenez : pas trop faiblard) et la texture est relativement épaisse.
La finale assez longue sur les arômes de la bouche : vanille, tabac, bois et réglisse.

Ce n’est franchement pas mauvais cet élixir. Oui, j’aurais aimé plus de fruits et de fraicheur mais dans son registre il est réussi et vraiment évolutif. A vrai dire, je m’attendais à un rhum moins bon que ça et très – trop – boisé du haut de ses 31 ans mais ce n’est pas le cas, loin de là !

Domaine de Courcelles 1972 (Velier) – 42% (mis en bouteille 2003)

Domaine de Courcelles 1972 (Velier) – 42% (mis en bouteille 2003) – photo durhum.com

Le premier nez est plus expressif que celui du Damoiseau ; il se fait très réglissé/anisé, épicé (épices douces) et sur le caramel cuit. Sa fraicheur vient d’une pointe mentholée. Nous sommes face à un profil qui est, pour moi, très représentatif des vieux rhums guadeloupéens de mélasse (comme par exemple les Bellevue dont on trouve tant de différentes versions chez les embouteilleurs indépendants). Là aussi, le second nez est synonyme d’arômes plus noirs, avec tabac, cuir et boisé en tête. Cependant sur ce Courcelles 1972, le couple réglisse/caramel cuit reste très présent. On demeure donc sur cette typicité vieux rhums de Guadeloupe. A noter qu’au bout de plus d’une heure dans le verre, la vanille se taille une place de choix.
L’attaque est plus vive que prévu et c’est pas mal, les 42% s’en sortent bien. La première impression est soyeuse et on retrouve nos arômes, bien en place. Je ne vous le cache pas, je ne suis pas un grand fan de ce profil. Je trouve qu’il manque quelque chose à ce trio réglisse, caramel cuit et épices.
La finale est longue et le palais est marqué. En plus des saveurs de la bouche, le boisé et le tabac se rappellent à notre bon souvenir, l’ensemble légèrement arrondi par un voile vanillé.

Une dégustation très homogène, avec notre gamme d’arômes en place dès le nez, gamme dont on ne va jamais vraiment s’écarter. Ça manque cruellement de gourmandise à mon goût.

A noter que j’avais pu déguster une autre version de ce Courcelles 1972, avec une mise en bouteille de février 2009 lors du Salon du Rhum à Spa en 2017.

Domaine de Courcelles 1948 – 50%

Domaine de Courcelles 1948 – 50% – photo Excellence Rhum

Le premier nez de ce Courcelles 1948 est très différent des deux précédents, plus vif et plus fin. On y retrouve malgré tout la réglisse et le sucre roux mais de manière moins marquée. Le fût laisse une trace de boisé gourmand et la prune et l’amande apportent un fruité bienvenu. Alors que ce serait le seul des trois de n’être issu de la distillation que de mélasse, c’est celui où je pourrais presque penser qu’il y a du jus de canne. Le second nez est très proche du premier mais tous les arômes sont amplifiés. Deux additions tout de même, le tabac (oui encore lui) et une touche médicinale ajoutent de de la complexité. Apparait même une timide pomme verte après un bon moment dans le verre.
En bouche, la première impression est celle d’un alcool juste comme il faut, les 50% lui vont bien. Les saveurs sur l’attaque sont très agréables, avec des fruits confits et une prune qui est devenue pruneau mais aussi un boisé relativement gourmand. Pas simple à décrire que cette bouche mais je garderai surtout en tête cette attaque qui m’a beaucoup plu.
La finale est très longue ; le bois, la réglisse, la vanille, l’amande et le tabac s’entremêlent longuement. Une légère amertume est aussi de la partie.

Une réussite que cet ancêtre. Les degrés y sont sans doute pour quelque chose ; autant au nez qu’en bouche, ils amènent une belle vivacité. Ce Courcelles 1948 se distingue également pas son fruité, qui fait défaut aux deux autres. Un joli rhum dans son style.


Voilà pour ce petit tour en Guadeloupe – et même sur Grande-Terre – au siècle dernier. Vous l’aurez compris, c’est le papi de 1948 qui m’aurait fait la plus forte impression ! Le Damoiseau 1953 aura été une belle surprise, alors que le Courcelles 1972 n’aura pas franchement été à mon goût.
Je vous dis à très vite pour déguster trois rhums de Martinique des années 50 et 60 😉

3 thoughts on “Six légendes des Antilles Françaises – Partie 1 : la Guadeloupe

  1. Merci Laurent pour ces notes de dégustation. Très difficile de mettre la main sur des vielles bouteilles avec une bonne ou mauvaise surprise à l’arrivée. On en trouve encore aux enchères mais depuis le confinement les prix sont devenus stratosphériques. Une bouteille de Montebello de 1948 est partie à plus de 1000€ à Bordeaux il y a quelques mois.
    Et quelle émotion tu dois avoir quand tu œuvres une bouteille plus vieille que toi (enfin que moi).
    Hate de découvrir tes dégustations martiniquaises 😉

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    • Merci ! 🙂
      J’avoue ne pas vraiment regarder les enchères mais quand je vois certains prix passer de temps à autres… ouais en effet, mieux vaut ne pas chercher ce genres de vieilleries.
      Pour la Martinique, j’ai également hâte de les goûter ! ^^

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  2. Pingback: Six légendes des Antilles Françaises – Partie 2 : la Martinique | Les rhums de l'homme à la poussette

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