ROW Spirits – Série Nomade

Mais qu’est-ce que ROW Spirits ?

” Voici un nouvel embouteilleur indépendant.
– Ah, un de plus ?
– Oui, mais non.
– Mouais… Laisse moi deviner, ils sortent un Jamaïque, un Demerara, un Trinidad, le tout en brut de fût et au vieillissement majoritairement continental.
– Ben non. Figure-toi que pour leurs premières sorties, ce sont six armagnacs qui sont mis à l’honneur.
– Ok, je me tais.
– Merci. “

Le logo ROW Spirirts
Le logo ROW Spirirts

Après cette intro moisie, laissez-moi vous expliquer ce qu’est ROW Spirits.
ROW Spirits, c’est l’association de trois personnages du rhum. Trois individus que l’on connait pour des raisons diverses mais qui sont liés à plus d’un titre.

Déjà, pour leur amour du rhum (et plus globalement des spiritueux en général), mais aussi celui de l’authenticité et des belles personnes. Des liens se sont tissés entre eux au fil des années. Parmi ces connexions : des dégustations, un ouvrage, une association à but non lucratif, des collections de rhum…

Dans ROW Spirits, il y a ROW. ROW comme un acronyme : R pour Ruruki, O pour Olivreau et W pour Weglarz. Oui, nous avons donc bien un groupe formé par Luca Gargano, patron de Velier, Marc Olivreau, dénicheur de pépites liquides et Cyril Weglarz, auteur de blog Durhum. Ils ont tout un tas d’autres casquettes mais celle qui nous intéresse aujourd’hui est cette casquette commune, née de la volonté de mettre en avant des histoires tout aussi authentiques que les spiritueux qu’ils sélectionnent.

Je tiens à noter, en passant, que ces trois énergumènes ont tous eu un impact sur mon voyage du rhum : Cyril au travers de son blog que je lisais assidument, Luca et ses embouteillages mythiques, qui m’ont amené dans une autre dimension rhumesque et Marc grâce à ses échantillonnages et ses dégustations uniques.

Pour leur première volée spiritueuse ” Nomade “, c’est un maillon précis de la chaîne qu’ils ont souhaité mettre en lumière. Des types qui ne tiennent pas en place, qui vagabondent pour faire naître le précieux jus. Les bouilleurs de cru, artisans nomades et historiques de la distillation, sont au centre de cette première sélection. Six armagnacs enracinés dans leur terroir au sein desquels le lien entre vigneron et distillateur ambulant est primordial.

Allons voir ce que cinq de ces armagnacs nous réservent. Je compte bien déguster le 6ème à la première occasion.

Domaine de Jouatmaou 1989 (34 ans) – 41.5%

Distillateur Guy Dufau / Région Bas Armagnac / Cépage Folle Blanche Baco / Fût 43

ROW Spirits - Domaine de Jouatmaou 1989 (34 ans) - 41.5%
ROW Spirits – Domaine de Jouatmaou 1989 (34 ans)

Dès le nez approché à quelques centimètres du verre, ce Bas Armagnac développe des arômes intenses. Fruits du verger à pleine maturité (pêche, abricot, pomme), tabac, boisé incisif, pâtissier (vanille et beurre) et aussi une jolie fraicheur florale, voilà ce qu’il nous offre de prime abord. Il parvient à être à la fois concentré et aérien. Du repos lui donne un air plus compoté. Une fois le liquide étalé sur les parois du verre, sa facette aérienne n’est plus, le boisé s’est assombri et le profil général se fait plus austère. Puis les minutes passant, la noix torréfiée et le beurre viennent jouer des coudes avec le boisé pour un résultat d’une gourmandise surprenante où l’on s’enfonce onctueusement.
Sur l’attaque, la puissance gustative est frappante sans que l’alcool ne s’en mêle (on peut donc longuement le garder en bouche et tant mieux). Sans doute, plus « classique », cette bouche n’en demeure pas moins fort réussie. Il m’arrive régulièrement d’apprécier beaucoup le nez d’un armagnac pour être déçu en bouche où le vieillissement ne laisse que très peu de place aux fruits, ici tel n’est pas le cas : boisé et fruits jouent à armes égales.
La longue finale se voit dominée par un boisé épicé et torréfié.

Un très bel Armagnac ! Il est parfaitement dans les canons de la catégorie sans tomber dans ses travers.

Ferme de Taulet 2009 (14 ans) – 47.85%

Distillateur Patrick et Xavier Magni / Région Ténarèze / Cépage Ugni Blanc / Fût 7

ROW Spirits - Ferme de Taulet 2009 (14 ans)
ROW Spirits – Ferme de Taulet 2009 (14 ans)

Moins exubérant et direct que le premier, il reste dans le fond du verre et demandera sans doute plus de temps pour se livrer. Ce sont pour l’instant essentiellement des arômes venus du fût qui surnagent, des notes bien torréfiées. On détecte cependant des fruits rouges qui tentent de percer, ainsi qu’une timide violette. Le repos lui fait du bien et lui permet de s’exprimer moins timidement. Il devient alors un peu moins atypique, puisque ce sont des arômes boisés et pâtissiers qui dominent. Heureusement, le peps des fruits rouges n’est pas tout à fait gommé. Voyons voir ce qu’il a à nous offrir sur le deuxième nez. Il change sensiblement tout en gagnant en intensité. Le beurre se remarque et se joint à la cire et même à une note d’amande fraiche. Il donne alors une impression grasse et onctueuse mais souffre d’un déficit de fraicheur. Il faudra aller chercher nos fruits tout au fond du verre, le degré alcoolique le permet.
La vivacité surprend en peu sur l’attaque. Autre surprise, la matière première s’exprime bien plus clairement en bouche qu’au nez, le boisé étant nettement en retrait face aux fruits et à l’alambic.
La finale se positionne à mi-chemin, entre un bois jeune, des fruits travaillés, du tabac et une discrète présente métallique.

Un profil inédit (pour moi), qui, malgré ses nombreuses qualités, n’aura su totalement me séduire.

Ferme de Bacoge 1990 (33 ans) – 50.3%

Distillateur Roumat / Région Bas Armagnac / Cépage Baco / Fût 54 et 4

ROW Spirits - Ferme de Bacoge 1990 (33 ans)
ROW Spirits – Ferme de Bacoge 1990 (33 ans)

Nous revoilà sur une intensité remarquable. Le bois et les fruits ne font plus qu’un. Ils forment une mixture épaisse, concentrée et diablement gourmande. Il n’est pas sans rappeler certains rhums de Guyane Anglaise, qui, au fil des années passées sous climat tropical, deviennent confits et où les éléments organoleptiques qui le composent se sont fondus en une « liqueur » où fruits exotiques, fruits à noyau et boisé torréfié s’en donnent à cœur joie. L’attente confirme cette parenté. Les fruits semblent acides et sucrés, alors que le boisé bien présent se dévoile légèrement piquant, sans que cela ne gêne le moins du monde. En revanche, le deuxième nez n’apporte pas grand-chose de plus, et en faisant navigué cet armagnac vers des rivages plus sombres, casse un peu l’équilibre. Qu’à cela ne tienne, il se recale rapidement, alors que noix et vanille se joignent à la fête.
En bouche, on s’écarte un peu de la comparaison avec les Demerara. L’intensité est là et les saveurs envahissent immédiatement la bouche ; des notes de fruits à coque, de pruneaux, de tabac, de sucre roux, de bois.
La finale, longue, s’épanouit sur un profil torréfié : cacao, tabac, fût toasté et (très) légère amertume.

C’est bon. C’est tout simplement très bon.

Armagnacs Ladevèze 2004 (19 ans) – 54%

Distillateur Patrick Michalouski / Région Ténarèze / Cépage Plant de Graisse / Fût 31

ROW Spirits - Armagnacs Ladevèze 2004 (19 ans)
ROW Spirits – Armagnacs Ladevèze 2004 (19 ans)

Dur de passer après l’exubérance du précédent mais cet Armagnac Ténarèze, en jouant sur un tout autre registre, y parvient. Plus fin – et moins dans mes repères – il exprime les marqueurs du fût, alliés à ce rare cépage, sous forme de touches pâtissières, de taille de crayon et de quelques gouttes de jus de fruits collant. Avec du temps, c’est définitivement sa facette pâtissière qui prend le premier rôle dans un registre assez sombre. Les cartes sont redistribuées après que le liquide ait été agité dans le verre, et l’alcool titille les narines. La gourmandise beurrée reste bien en place et fait office de matelas à toute une nouvelle famille d’arômes : pruneau, poivre, liqueur de plantes et orange. Voilà une évolution inédite !
La puissance de l’alcool montre ses pourcents sur l’attaque et la texture est belle. La concentration est évidente et un nuage aromatique envahit la bouche. Difficile d’y décortiquer les saveurs. Fruits confits, copeaux de crayon, cacao, quelques plantes aromatiques… Il se passe pas mal de choses.
La finale reste intense de longues secondes. C’est un cacao légèrement amer, saupoudré de vanille et de quelques zestes d’orange qui nous embarque. Un voile de tannins/cacao couvre la langue, on se laisse faire avec plaisir.

Une dégustation compliquée. Pas au niveau plaisir – il est au rendez-vous – mais d’un point de vue analytique. Évolutif, étonnant, pas toujours homogène, on se fait balader sans vraiment savoir où l’on va. C’est grave ? Pas le moins du monde.

Armagnacs Ladevèze 2019 (4 ans) – 53%

Distillateur Patrick Michalouski / Région Ténarèze / Cépage Mauzac Rosé / Fût 21

ROW Spirirts - Armagnacs Ladevèze 2019 (4 ans)
ROW Spirirts – Armagnacs Ladevèze 2019 (4 ans)

Plus frais, plus végétal, plus léger, l’influence du fût est évidemment bien moins présente que sur les quatre premiers. On imagine donc son profil en provenance directe du cépage Mauzac Rosé. Ce dernier développe une veine aromatique relativement complexe et changeante, jouant tout à tout sur des registres fruités (pommes et poires fraiches), floraux, légèrement terreux et discrètement beurré. Le repos lui donne une certaine épaisseur apportée par un léger boisé vanillé, alors que l’on garde nos autres arômes. Le second nez fait surgir une trame médicinale jusqu’alors absente. Puis, tandis que cet armagnac Ténarèze se cale à nouveau au fond du verre, on découvre ce qui apparait être sa « vraie » identité : un joyeux melting pot de tout ce qui avait effleuré nos narines, avec en prime une goutte de sauce soja (ah non, en fait c’est mon fils qui cuisine asiatique à côté…). Voilà une eau-de-vie changeante et déstabilisante, ça fait du bien.
Relativement puissant – arômes et alcool – il nous bouscule malgré une suavité évidente. Il est totalement en ligne avec le nez : fruits frais, médicinal, légèrement vanillé, discrètement beurré et timidement végétal (je n’ai plus d’adverbe en « ment »).
La finale repart sur un virage floral et fruité, assez proche du premier nez, avec toujours un fin voile boisé.

Une véritable expérience ! Plus intéressante que réellement plaisante pour mon palais mais qui vaut le coup d’être menée.

ROW Spirits – Château Lassalle-Baqué 1995 (28 ans) – 49.3%

Distillateur Yvan Saint Martin / Région Ténarèze / Cépage Ugni Blanc / Fût 6

ROW Spirits – Château Lassalle-Baqué 1995 (28 ans)
ROW Spirits – Château Lassalle-Baqué 1995 (28 ans)

Peut-être pas le plus expressif mais ce qu’il dégage est néanmoins plaisant. Il donne l’impression d’être fin et concentré à la fois, et il s’exprime sur différentes trames aromatiques fondues les unes aux autres. Ainsi, ce sont notes florales (fleurs séchées), fruitées (fraise, orange, raisin, fruit de la passion) et boisées (vanille, tabac) qui s’épanouissent et s’entremêlent. Enduire les parois du verre n’y changera pas vraiment grand-chose (le repos non plus), il demeure réservé mais bien fait. À noter une fraicheur acide bien présente.
L’intensité en bouche surprend un peu, positivement. L’acidité se confirme et accentue ce léger mordant, loin d’être désagréable, d’autant que la puissance est très bien dosée. Le fût devient plus présent, entre autres au travers de notes épicées, qui vont n’avoir de cesse de gagner en assurance.
La finale est d’ailleurs nettement dominée par ces épices (muscade surtout et cannelle), qui vont faire durer la présence de cet Armagnac Ténarèze un long moment. Je ne vais pas m’en plaindre, bien que ce ne soient normalement pas des saveurs dont je suis particulièrement friand.

Le voilà le Ténarèze qui m’aura vraiment plu ! Alors oui, il pourrait être plus expressif au nez, il gagnerait sans doute à se faire un peu moins « épicé » sur la finale et de manière générale, la dégustation n’est pas vraiment homogène mais vous savez quoi ? Tout ça n’a pas grande importance quand le plaisir est au rendez-vous.

ROW Spirirts - Dans les vignes
ROW Spirirts – Dans les vignes

Un vrai beau moment de dégustation et de découverte que j’ai passé aux côtés de ces armagnacs. Beaucoup de variété mais pas de concession. Le plaisir gustatif n’a pas toujours été au rendez-vous mais l’intérêt intellectuel, lui, fut toujours présent. Sur ces cinq armagnacs, j’ai clairement eu une préférence pour les Bas-Armagnacs, les Ténarèze étant plus compliqués à appréhender et moins gourmands (quoi que ce 2004…) ; peut-être le 6ème et dernier me fera revoir ma copie.

Si vous souhaitez en savoir plus sur ces armagnacs et sur ROW Spirits, ils viennent tout juste de mettre leur site en ligne : ROW Spirits

Quoi qu’il en soit, il est certain que je vais les suivre de près ces ROW Spirits ! Espérons juste que les bouteilles noires n’attirent pas les spéculateurs/coffreurs/investisseurs/enculés de tous poils.

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