Ce n’est pas la première fois que j’écris sur le Domaine de Charron. En effet, j’avais pu me frotter à ces armagnacs sur quatre éditions du Whisky Live Paris (2019, 2021, 2022 et 2023). Il était temps que je les déguste dans des conditions plus posées, afin de leur consacrer le temps qu’ils méritent et de m’en faire une opinion plus élaborée.
Jean-Philippe Balay, le boss de la marque au zèbre, m’a très gentiment envoyé cinq échantillons pour que je puisse me livrer à cette dégustation en bonne et due forme. Mon impression globale positive va-t-elle se confirmer ? C’est ce que nous allons voir.
Domaine de Charron Millésime 2009 (fût n°120) – 51.2 %

Le premier contact nous présente un armagnac qui répond aux canons de la catégorie (je ne suis pas sûr que ça se dise, mais j’aime bien). Le fût a laissé son empreinte sur les fruits et ces deux trames s’associent très bien, aucune ne prenant le pas sur l’autre. Vanille, fruits à coque, fruits jaunes bien mûrs, orange confite, bois ciré et une belle concentration. Il fait plus vieux que son âge, seuls les fruits frais trahissent sa (relative) jeunesse. Le second nez et le repos dévoilent des arômes de fruits secs et d’amande. Il semble par ailleurs avoir perdu un peu en concentration et en intensité.
L’attaque n’est pas dénuée de vivacité mais la puissance demeure bien dosée. Les fruits secs mènent la danse et ne laissent que peu de place aux autres interprètes de ce balai, qui devient plus simple, d’une simplicité séduisante.
La fin de bouche démarre sur une bouffée chaleureuse très agréable, puis se mettent en place des notes torréfiées, qui une fois de plus laissent à penser qu’il est d’un âge plus vénérable. Le caramel conclut l’expérience.
Il se défend bien ce « petit jeune ». Tout n’est probablement pas encore tout à fait en place, il a cependant beaucoup à offrir.
Domaine de Charron Millésime 2003 (fût n°87) – 50.8 %

Instantanément plus chaleureux, il évolue sur des notes plus boisées, mais aussi – voire surtout – sur des francs arômes pâtissiers, avec le beurre, la vanille et la noix. Un peu de tabac et d’épices apportent juste ce qu’il faut de profondeur. Le boisé est fin et loin d’être agressif, tout comme l’alcool d’ailleurs. En revanche, les fruits manquent peut-être un peu. Quoique… Trente minutes passées dans le verre confirment et renforcent son visage pâtissier, et pas qu’un peu. Beurre, chocolat au lait, noisette. J’ai dû faire appel à la brigade « anti-gourmandise » pour ne pas boire d’une traite ce praliné liquide ! Étaler le liquide à l’intérieur du verre lui redonne un peu de peps et accroit l’intensité tout en faisant ressortir sa facette boisée, sans pour autant effacer sa nature pâte-à-gâteau-sienne.
La vivacité est la bienvenue et, chose rare, cette gourmandise pâtissière ne s’est pas évaporée. Il arrive trop souvent que le nez nous promette des merveilles que la bouche ne tient pas. Pas là. Certes le bois est un peu plus présent et les pruneaux épicés (pourquoi pas) apparaissent, mais ce qui me plaisait tant au nez ne souhaite pas s’en laisser conter.
La finale ? Très à mon goût.
Ben punaise, j’ai adoré ce 2003. Oui, j’aime la pâte à gâteau. Comme toute personne sensée.
Domaine de Charron Millésime 2001 (fût n°75) – 50.3 %

On continue notre évolution avec ce millésime 2001. Le boisé devient un peu plus sombre, avec un tabac qui gagne en présence et l’apparition de notes torréfiées. Tout cela est équilibré par les fruits jaunes, qui ne sont pas là pour faire de la figuration. On a tout de même passé un cap en termes de présence du fût ; sans que cela soit gênant. Le deuxième nez monte l’intensité d’un cran sans changer le profil pour autant, et tant mieux. Les notes pâtissières (oui, là aussi) se voient donner un allié de choix : la pêche. Le mariage des deux fonctionne très bien, d’autant que des notes torréfiées et légèrement épicées accentuent le caractère très complet de cet armagnac, où gourmandise est le maître-mot et où l’évolution semble ne jamais s’arrêter.
En bouche, c’est pareil : complet, gourmand, complexe. On navigue des fruits à coque aux notes torréfiées, en passant par les épices et la pêche. Le tout est concentré et peut se garder en bouche indéfiniment. Très réussi.
La finale nous refait basculer sur sa facette la plus sombre, sur laquelle tabac et café dominent. Une touche beurrée vient arrondir cette noirceur. Ah ? Vous ne mettez pas du beurre dans votre café vous ? Il va falloir s’y mettre.
C’est la troisième fois que je goûte à ce millésime 2001 mais c’est la première en dehors des conditions de dégustation salon. Tout le bien que j’en pensais se confirme.
Domaine de Charron Millésime 1997 (fût n°5) – 49.7 %

Nous sommes face à un spiritueux concentré et expressif. Les années ont eu l’effet escompté et le distillat s’est transformé en une mixture (rien de péjoratif ici) épaisse et confite où les arômes de noix torréfiée, de tabac, de vinaigre balsamique et de café s’expriment librement. Le tout se fait sans excès et reste aimable. Le repos atténue un peu son côté sombre, puis le deuxième nez le repositionne au premier plan, tout en faisant apparaitre un timide zeste d’orange. Le temps passé dans le verre ne lui enlève en rien sa concentration.
La bouche est pleine, tant par la texture que les arômes, l’alcool permet de le mâcher aussi longtemps que nécessaire. Le profil ne change pas, cet armagnac reste dirigé par cette noirceur boisée contrôlée. Une certaine suavité arrondit ce jus, qui ne demande qu’à ce qu’on y revienne. Une pointe brûlée, inédite, me plait.
La finale est longue et ne quitte pas cette trame qui nous aura pris par la main tout au long de la dégustation.
Oui, il évolue sur un boisé concentré, sans jamais tomber dans l’excès cependant. Il est aimable du début à la fin. Il exprime une contradiction super plaisante entre le poids des années passées sous bois et un air de reviens-y. J’entends par là que le boisé, marqué, ne le dessert en rien.
Domaine de Charron Millésime 1989 (fût n°6) – 47.1 %

Notre appendice nasal se trouve immédiatement englué dans une sorte de mélasse aux notes de caramel cuit, de réglisse, de café, rehaussées par une touche mentholée. Si ce n’est la présence de cette dernière, le profil de cet armagnac est résolument empyreumatique et chaud. Après avoir enduit les parois du verre du breuvage, la vanille fait une apparition remarquée et la double impression sombre (une note de bois brûlé se distingue) et fraiche s’accentue encore. La noix – encore elle – pointe le bout de son cerneau.
Quelle intensité au palais. La bouche se voit envahie par les arômes et la texture de ce millésime 89. Comme sur le 1997, la relative sucrosité équilibre parfaitement le bois et les notes très sombres.
Interminable est la finale. Tabac, noix, café, boisé, chocolat noir, pruneau, le tout mâtiné d’une très légère amertume.
Dans un style différent, il n’est pas sans rappeler le 1997. Les deux suivent une partition empyreumatique sur laquelle les années au contact du bois sont indéniables mais où la mélodie reste suffisamment légère et équilibrée pour que l’auditeur y prenne beaucoup de plaisir.
Alors cette impression positive recueillie sur les salons ? La voilà non seulement confirmée et même encore renforcée ! Je me suis régalé lors de cette dégustation, ce fut un réel plaisir.









