Il n’est pas toujours facile de s’y retrouver chez Bielle. Des bouteilles de toutes formes, des gammes multiples, parfois sans le logo de la marque mais juste une petite mention… Si on ajoute à ça certains rhums “premium” (comprenez une double distillation) et d’autres ramenés en goélette, il vous suffit de mélanger un peu tout ça pour ne plus rien y comprendre.
Ce qui est certain, c’est que la distillerie de Marie Galante peut sortir de ses chais des embouteillages absolument délicieux ; parmi eux, le 2003 brut de fût, certains fûts des sélections LMDW ou encore le 2008 anniversaire. Et au-dessus de tout ça, en tout cas dans la manière dont la gamme a été pensée, il y a des millésimes en carafe carrée. Trois ont été commercialisés jusqu’à aujourd’hui, le légendaire 1994, son successeur le 2002 et le récent 2006. C’est un échantillon de chaque en poche qu’est née l’idée d’une dégustation des trois en parallèle. Dégustation que voici 🙂
Bielle 1994 (17 ans) – 52%

Le premier nez nous offre un profil à la fois chaleureux et frais (oui ça fait un peu grand écart), ce qui n’est pas une mince affaire. Boisé discret et légèrement poudré, écorce d’orange, vanille et la patte Bielle – que je retrouve souvent sur leurs rhums et que j’apprécie – de la réglisse. Il se révèle simultanément sous des atours gourmands et droits et continue d’évoluer sur le fil entre fraîcheur et registre plus sombre (qui va en croissant). Des notes pâtissières ainsi que des fruits confits et des épices douces se font remarquer… ça n’arrête pas. De manière impressionnante, le second nez ne fait qu’accentuer tous les arômes avec un léger avantage aux fruits (le pruneau apparaît), alors que surgit une pointe de tabac. Sincèrement, on a peur de le boire, non pas parce que l’on craint d’être déçu mais parce que cela signifie que l’on se rapproche de la fin de la dégustation. Je me suis surpris à lâcher un « Oh putain ce que ça sent bon » … lorsque j’ai encore remis le nez dedans et qu’une vague beurrée et pâtissière m’a assailli.
La bouche est très expressive et l’alcool est parfaitement dosé, il ne sert que de support aux arômes, qui se font fruités, boisés, exotiques, équilibrés et simplement délicieux.
La finale est interminable et tend vers ce boisé réglissé typique de la distillerie, en se détachant un à un de ses fruits, de sa fraîcheur, de ses pâtisseries… Le rhum semblerait à ce moment-là presque trop simple, tant le début de la dégustation était complexe et évolutif.
Un des deux meilleurs rhums agricoles qu’il m’a été donné de déguster (l’autre étant le Neisson 21 ans). Cette nouvelle dégustation confirme tout le bien que j’en pense et je suis loin d’être le seul.
Bielle 2002 (12 ans) – 52%

Le premier nez est plus marqué par le fût et plus chaud. C’est sur ce registre boisé qu’il a des choses à proposer. Légèrement torréfié (cacao) et vanillé, il n’est malgré tout pas exempt d’une certaine fraîcheur végétale. Cette dernière va d’ailleurs aller en grandissant jusqu’à l’équilibre, alors qu’il se fait de plus en plus expressif. Une fois en place (si jamais il s’arrête d’évoluer), c’est un bois verni et patiné par les ans qui domine mais qui laisse de la latitude aux autres arômes. Le précieux liquide étalé sur les parois du verre nous ramène vers un profil plus boisé et plus sombre et alors qu’il est objectivement très agréable, il souffre un peu de la comparaison avec le 1994, entre autres du fait d’un petit manque de gourmandise et de fruits.
La bouche ne trahit pas notre première impression : très expressif, le rhum évolue sur un nuancier boisé gourmand et légèrement tannique. Épices douces, fruits secs et toujours cette impression d’un vieux meuble, qui est un tantinet trop en avant selon moi. La puissance alcoolique est parfaite.
La finale est boisée et tannique. Ce sont des notes sombres d’un fût fortement chauffé qui vont nous accompagner un long moment.
J’en connais certains qui préfèrent ce 2002 au 1994, ce n’est clairement pas mon cas, mais je ne peux que reconnaître que ce 12 ans a de nombreux arguments.
Bielle 2006 (14 ans) – 47.8%

Le premier nez est bien différent des deux autres, puisque ce qui marque ici, c’est d’abord sa facette fruitée : l’orange et son jus ainsi que les fruits à coque. La fraîcheur est présente, par les agrumes, mais aussi par une pointe mentholée. Un boisé vanillé se fait sentir mais reste discret. Les minutes passant, il se rapproche un peu du 1994, avec un boisé et des notes pâtissières qui gagnent en puissance. L’équilibre est cependant maintenu, entre autres grâce à la présence de fruits blancs, qui gardent ce nez assez aérien. Le deuxième nez magnifie encore cette fraîcheur multifacettes (végétale et fruitée), qui est suivie de près par une impression de galette des rois (beurre, frangipane, pâte à gâteau). Pas aussi profond que le 1994, ce nez reste remarquable, d’autant qu’avec encore un peu de repos, le fût fait des siennes sous des accents de tabac vanillé. On ajoute quelques prunes au sirop ? Oui, allez, et puisqu’on y est, on y lâche une pincée de curry.
La bouche, comme sur les deux autres, est très intense et on y retrouve l’orange et un boisé léger mais gourmand. Je dois avouer qu’un arôme est ensuite venu me déranger, quelque chose qui n’a rien à faire là, qui m’a fait penser à certains échantillons qui ont mal vieilli, avec un côté « lessive » (défaut normalement décelable au nez, ce qui n’est pas du tout le cas ici).
La finale sera malheureusement marquée par cette note, et bien que l’on ait un boisé (qui se fait légèrement tannique et réglissé), je n’arrive pas passer outre ce défaut.
Ça démarrait vraiment bien ; sur le nez, je l’aurais placé entre le 1994 et le 2002, puis il y a eu ce souci. Je ne sais pas de quoi il peut venir ; pour moi, il est évidemment exogène au rhum lui-même, mais je connais le sérieux de la personne qui m’en a fait un sample et je lui fais totalement confiance. La cause ne peut pas non plus être un mauvais stockage de mon côté puisque je ne l’ai reçu que récemment. Le mystère reste donc entier et je regrette surtout de ne pas avoir pu apprécier et évaluer ce rhum pleinement.
Les trois évoluent énormément et font des aller-retours entre la fraîcheur, la gourmandise, la précision, l’opulence, les fruits, le bois… Absolument exceptionnels. Le 1994 est tout bonnement imbattable et m’a une nouvelle fois fait voyager. Le 2006 était plus que prometteur, avec un nez bluffant, et le 2002, très bon, ne peut que prendre la troisième place.
Excellent article, merci pour ce partage.
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Merci beaucoup !
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Bonjour
connaissez vous Caroni Single Estate Trinidad Rum bottled by Adelphi for Switzerland 1998 22 J. 62.8% 70cl ?
L'embouteilleur Adelphi semble en tout cas serieux …
cordialement
claude
Envoyé: dimanche 23 janvier 2022 à 19:59 De: "Les rhums de l'homme à la poussette" <comment-reply@wordpress.com> À: cm.claude@gmx.com Objet: [New post] Bielle 1994, 2002 et 2006
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Bonjour Claude,
Non, je ne connais pas cet embouteillage en particulier. Cependant, en effet, Adelphi est un embouteilleur indépendant (relativement) connu, donc pas d’inquiétude quant à son sérieux.
Cordialement,
Laurent
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