Peut-être ne connaissez-vous pas encore ce jeune embouteilleur/sélectionneur/distributeur qu’est Latitudes. De mon côté, bien que je connaisse les deux énergumènes derrière ce projet, je n’avais jusqu’alors pas eu l’occasion de déguster les rhums embouteillés sous leur bannière. Ce ne sont autres que Nicolas et Olivier de chez Rhum Attitude qui se sont mis en tête de distribuer et faire découvrir ces rhums jusqu’à présent pas (ou très peu) représentés sur le marché, des rhums à l’identité forte, plutôt destinés aux initiés qu’aux débutants.
Ils ont pour l’instant deux cordes à leur arc, avec deux origines différentes : Madère et la Martinique. Sur la petite île portugaise, c’est la distillerie O Reizinho qu’ils se proposent de nous faire découvrir au travers de quatre expressions différentes ; ce sont deux blancs et deux “golds” qui sont mis en avant pour nous présenter cette vieille distillerie familiale et traditionnelle de Madère (fun fact : la distillerie est au sous-sol de la maison familiale !).
Sans plus attendre, place à la dégustation !
Latitudes – O Reizinho Blanc millésime 2015 – 45%

Latitudes – O Reizinho Blanc millésime 2015 – 45% (photo : Rhum Attitude)
Ce rhum est issu d’une sélection du distillateur qui, l’ayant particulièrement apprécié, a décidé d’en garder de côté plutôt que de l’assembler. Il en résulte un rhum qui se sera reposé pas loin de quatre ans !
Au nez, c’est la canne qui saute aux narines, une canne végétale et fruité mais plutôt lourde et épaisse. Vient tout de suite après des notes de distillation, légèrement métalliques et ce sont ensuite une multitude d’arômes qui se joignent à la fête : terre, poivre, acidité lactée et fruitée, encre, paille, fleur… Après quelques instants le citron vert et des notes fermentaires se font sentir. C’est clairement atypique et loin d’être désagréable, il s’en passe des choses mais un certain équilibre se créé malgré tout, peut-être au détriment de la complexité, un peu comme si, d’une certaine manière, un prisme venant recomposer les différentes couleurs d’un rayon lumineux vers l’unité et l’équilibre – non je n’ai rien fumé, cette image m’est simplement venue à l’esprit 😛
En bouche, c’est comme si l’encre était diluée dans le jus de canne et ce rhum agricole nous offre une surprenante sucrosité, toujours alliée à une certaine acidité. Olive et légume vapeur font leur apparition et rendent cette eau-de-vie encore plus étrange et singulière.
La finale est longue et toujours « sucrée » et c’est bien l’olive qui va l’emporter avec toujours cette canne bien présente, mais désormais au second plan.
Latitudes – O Reizinho Blanc – 50%

Latitudes – O Reizinho Blanc – 50% (photo : Rhum Attitude)
Il s’agit du rhum qui représente la plus grande partie de la production de O Reizinho.
Au nez, ce blanc 50% est moins atypique que le millésime 2015 et offre plus de fraicheur et d’acidité, et moins d’exubérance, on se rapproche un peu plus des rhums agricoles auxquels nous sommes habitués. Canne oui, mais citron vert encore plus. Plus de simplicité et, d’une certaine manière, de franchise.
En bouche, l’alcool apporte une puissance remarquée et on reste sur ce citron vert au jus de canne, bien agréable ma foi. On se rapproche du ti’punch.
La finale est sur une canne plus lourde et le citron vert se fait légèrement amère. Après quelques minutes, une surprenante note fumée émerge.
Une identité moins forte que sur le millésime 2015 mais une candeur fort agréable.
Latitudes – O Reizinho Gold – 45%

Latitudes – O Reizinho Gold – 45% (photo : Rhum Attitude)
C’est après 6 mois passées en fût de vin de Madère qu’il est embouteillé.
Pas simple sur ce premier nez de dire que nous ne sommes pas sur un blanc. La canne est gourmande et nous donne envie de la croquer, comme de croquer dans un marron glacé. Ce n’est que dans un second temps que l’on pense déceler une certaine profondeur légèrement épicée et même poivrée mais qui d’une certaine manière ne ferait qu’accentuer l’impression de gourmandise. Le second nez cependant tend à mettre en exergue la facette végétale et florale de la canne au détriment de sa gourmandise.
En bouche, légère sucrosité (qui va croissante), canne végétale et fruitée, voilà ce que nous avons. Mais l’équilibre est là avec l’acidité du citron vert.
La finale est le seul moment où le passage en fût se faire sentir un peu plus nettement avec l’émergence d’une pointe de caramel poivré, alliée à la canne, toujours un peu acide et même un peu amère les minutes passant.
Une bonne impression générale de ce gold de Madère, surtout sur ce premier nez qui ne donne qu’une envie : croquer dans cette canne à sucre !
Latitudes – O Reizinho Gold – 57%

Latitudes – O Reizinho Gold – 57% (photo: Rhum Attitude)
La version brut de fût du précédent mais avec trois mois de en fût supplémentaires.
Au nez, là aussi c’est la canne à sucre qui domine nettement. Les quelques mois sous bois assagissent vraisemblablement la puissance et la potentielle acidité/verdeur du jus pour venir arrondir ce rhum. On est sur la même identité que sur le 45% mais avec plus de vivacité, de fraicheur et d’agrumes. Le côté marron n’est là que par brefs passages et des notes de fleurs capiteuses et d’olive en saumure se font remarquer.
En bouche, malgré la légère astringence et la puissance de l’alcool, il est quand même drôlement agréable entre autres du fait de sa sucrosité certaine et de sa canne à sucre très gourmande. C’est vraiment très intense et concentré. Presque impossible pour moi de dire qu’il ne s’agit pas d’un blanc, même si une telle concentration ne peut sans doute pas apparaitre sur un rhum non-vieilli.
La finale est moyennement longue et dominée par la canne qui se fait un peu plus végétale tout en gardant un certain gras et peut-être le boisé se fait-il sentir sous forme de légères notes de noix ou plutôt d’un rancio délicat.
Une expérience que nous offre ce O Reizinho gold à haut degré avec cette sensation tellement concentrée, qui colle presque au palais. Il a vraiment un goût de reviens-y ; une vraie réussite ! Il m’a tellement plu que je me suis sifflé la fin du sample dans la foulée 😀
Un sacré tour d’horizon qui a aiguillonné ma curiosité. Ces deux ambrés sont particulièrement intéressants avec ces quelques mois en fût de Madère, qui loin d’apporter un boisé, ne font que concentrer les arômes et magnifient encore la canne. Je suis impatient de voir ce que cette distillerie va nous sortir dans les années à venir.
Place maintenant à la seconde origine distribuée par Latitudes avec l’île aux fleurs et un rhum très particulier. Quand on pense Martinique, on pense bien sûr pur jus de canne, rhums agricoles, voire AOC mais là, il n’en est rien. Nous avons ici un rhum de mélasse et grand arôme qui plus est. Je me permets de reprendre la description qu’Olivier et Nicolas font de l’élaboration de ce rhum, plutôt que de les paraphraser :
“Il est issu d’une méthode unique, fruit de la fermentation de mélasse de canne à sucre et de vinasses, dans le but d’obtenir une concentration aromatique hors du commun.
Cette fermentation se fait en outre grâce à un écosystème de levures indigènes et de bactéries propres à la distillerie. Aucun ajout n’est effectué car l’environnement des cuves en bois suffit à provoquer une fermentation naturelle et spontanée.”
Et je peux vous dire que la promesse d’excentricité gustative est tenue ; voyons voir ce que ça donne.
Latitudes – Baie du Galion grand arôme – 60%

Latitudes – Baie du Galion grand arôme – 60% (photo : Rhum Attitude)
Au nez, ah là on est dedans ! En plein dans l’expressivité et l’intensité d’un grand arôme avec des éléments qui se bousculent. L’olive est la star, voire même plutôt la saumure de l’olive, mais les seconds rôles sont aussi de taille et bien interprétés par une fleur capiteuse, la colle et la fumée. Même les figurants se font remarquer et ce sont l’amande amère, le menthol et les fruits exotiques – façon Jamaïque – qui s’en tirent bien. L’impression globale est à la fois âcre et crémeuse. Un nez riche et caractériel.
En bouche, les 60 degrés ne passent pas inaperçus et accentuent encore les différents arômes sur une étonnante impression sucré/salé. L’acidité est marquée et les fruits mentholés s’effacent en fin de bouche pour enchainer sur des notes fumées.
La finale est très longue comme l’on pouvait s’y attendre et est dominée par des notes fermentaires et fumées. N’essayez pas de déguster quoi que ce soit d’autre après 😊
Un OVNI que ce grand arôme de l’usine du Galion en Martinique. Ce n’est vraiment pas mon truc, mais je connais des amateurs inconditionnels de ce type de produit !
Voilà, là on a fait le tour ! Latitudes se positionne donc bien comme un dénicheur de rhums hors des sentiers battus et définitivement pas comme embouteilleur indépendant sur ce marché du rhum déjà bien chargé. J’ai hâte de voir ce que l’avenir leur réserve 🙂
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