Après Bally, il y a quelques semaines, je reste dans les vieilleries martiniquaises avec le rhum Saint James. C’est loin d’être la première fois que je me livre à des dégustations de millésimes de cette distillerie, la preuve :
– Saint James 1885
– Saint James 1979
– Saint James 1982, 1986 et 1987
– Saint James 1998
– Saint James sélection Velier (10 millésimes de 1998 à 2015)
Il y en a tellement qu’il n’est pas aisé de faire un tour exhaustif, et d’ailleurs, tel n’est pas mon but. Cependant, un peu comme pour les Bally, c’est grâce à des échantillons glanés au fil du temps, que je peux ajouter ce nouveau line-up, de 5 références, la plus jeune datant des années 60 !
Comme vous allez le voir, mes notes ne prennent pas exactement la même forme, deux références ayant été dégustées à part, de plus, je n’ai pas pu mettre la main sur la photo de chacune des bouteilles. Qu’à cela ne tienne, allons-y.
Saint James années 1960 – 47 %

Pas très expressif, c’est le bois légèrement mouillé et torréfié qui marche en première ligne. Surgit ensuite une surprenante verveine citronnée. L’aération le fait énormément évoluer, puisque la concentration arrive sous des airs très sombres de torréfaction, de balsamique et de noix – la verveine ne disparait pas pour autant. Enduire le verre du liquide lui redonne une certaine fraicheur et apporte quelques fruits confits mais je regrette son visage plus sombre, qui revient à nouveau avec plus de repos, pour mon plus grand plaisir.
L’attaque, à la puissance parfaite, n’est aromatiquement pas très nette. On retrouve notre verveine et quelques saveurs sombres, cependant tout ça est accompagné d’un boisé légèrement mouillé et piquant, ainsi que d’une note perturbatrice, légèrement florale. L’ensemble n’est pas si mal mais j’en attendais sans doute mieux.
C’est une synthèse du nez et de la bouche que nous propose la longue finale. Plutôt sur une veine sombre, confite et torréfiée, elle n’est pas dénuée de fraicheur pour autant, portée par la verveine et les fleurs (les deux étant assez timides). Une touche de mélasse décide de coller à la finale.
Il m’a un peu sorti de mes repères sans être déplaisant. Une dégustation intéressante et pas dénuée de plaisir, surtout sur ce nez noix, balsamique et torréfaction.
Saint James années 1950 – 47 %
Ce rhum des années 50 nous dévoile une identité légère et fruitée, avec l’orange et les fruits du verger, copieusement saupoudrés d’épices douces. Le boisé est extrêmement discret. Arrivent ensuite des notes légèrement moins agréables – mais heureusement discrètes – de fleur à tendance parfum et de beurre un peu rance. Son évolution reste très mesurée, avec les fleurs qui reculent presque jusqu’à disparaitre. Il se fait plus expressif sur le deuxième nez, sans changer les arômes pour autant.
Plus frais que prévu, il offre aussi plus de peps qu’escompté, c’est bien. Chocolat, épices, note médicinale, boisé, fruits confits, légère présence florale (violette peut-être) se manifestent et forment la signature de cette bouche, plus réussie que le nez.
La finale reste fortement épicée, au boisé légèrement asséchant et voit apparaitre un arôme étrange, entre olive et pruneau. Et à nouveau, une pointe florale.
Encore un peu plus déstabilisant ce vieux Saint James. Son profil ne m’a pas convaincu.
Saint James 1941 – 47 %

Moyennement expressif. Bien différent des précédents, plus léger, plus aérien et plus “moderne”. Équilibré entre boisé, épices, fruité (fruits secs et fruits confits) et notes torréfiées. Un peu timide. Le second nez lui donne une ampleur bienvenue, tant aromatique qu’en termes de peps. Le café et le cacao gagnent en présence et une note végétale apparait, ainsi qu’une petite noisette de beurre et de caramel cuit.
Un peu plus intense en bouche mais sur un boisé, qui devient trop massif et épicé, même si pas dénué de gourmandise. Un peu simple, il lui manque une « accroche » à mon goût.
Finale très épicée, boisée et cacaotée.
Il lui manque un truc à ce Saint James. Pas de défaut à proprement parler mais il manque aussi de qualités à mettre en avant.
Saint James 1939 – 47 %

Expressif. Très porté sur les épices douces, curry, boisé mesuré. Identité marquée et atypique. Quelque chose de « salé » dans le genre sauce Maggi ou jus de viande, champignon. Tabac, noix, fruits secs. Gourmandise pâtissière dans le fond du verre. Cette dernière prend de l’ampleur avec le repos et sur le second nez, rendant le rhum plus aimable et un peu plus « classique ». L’évolution est franche et lui fait plutôt du bien. Plus de repos fait ressurgir sa facette originale et renforce encore la présence de la noix.
Belle présence en bouche, et ce, dès l’attaque. Concentrée et texturée, on retrouve bien toutes les notes du nez, avec une notion grillée. Très agréable. Fin de bouche sur une jolie bouffée pâtissière et boisée.
La finale se fait longue, boisée, grillée, noix, tabac, épicée et progressivement légèrement amère. Mais le tout dans la mesure ; cette finale conclue bien la dégustation.
Une jolie expérience. Le nez déstabilise un peu, puis se cale et le reste déroule de façon très réussie.
Saint James années 1910 – 47 %
Les fruits confits et les épices nous ramènent en arrière, vers un style désormais oublié. Viennent ensuite des notes médicinales, torréfiées et boisées, avant que le zeste d’orange ne fasse irruption. Intense et riche, ce sont ensuite des arômes d’encens et de boite à cigare qui viennent compléter ce nez qui est vraiment bien foutu. Les minutes passant, il se simplifie pour prendre une allure de petit jeune au chêne neuf et beurré. Après avoir tourné le liquide sur les parois du verre, son profil aromatique devient une belle synthèse des éléments du premier nez et du bois beurré. C’est pas mal du tout, il y a presque quelque chose de vineux là-dedans.
L’alcool est parfaitement dosé et on peut le garder en bouche indéfiniment, après une jolie explosion aromatique sur l’attaque. C’est alors bien ce boisé très gourmand qui domine et qui relègue les autres protagonistes au second plan : épices, vanille, cacao, fraicheur végétale légèrement piquante…
La finale, relativement longue, évolue rapidement sur des notes boisées confites et tanniques (sans amertume), après être passé par une bouffée beurrée et gourmande, dès le liquide avalé. Les secondes qui passent nous emmènent vers des rivages plus cuir, sucre cuit et tabac, avant de s’éteindre.
J’ai été très emballé par cet ancêtre. Au visage à la fois moderne et suranné, il parvient à synthétiser le meilleur des deux mondes.
Quelle balade et quelle conclusion !









