Pour tout de suite clarifier quelque chose : non, je n’ai pas dégusté le JM 1979. Je n’avais pas d’échantillon ; certes j’ai une bouteille mais je n’ose pas l’ouvrir, laissez-moi tranquille !
Quant au La Mauny, j’ai déjà vidé une quille mais je n’ai pas pris de notes, alors je vous la fais courte : il est très bon. je me souviens encore de mon premier contact avec ce rhum, lors d’une dégustation “privée” chez A’Rhûm, avec Freddy (le maître des lieux) et Jérôme Ardes (entre autres), une fois la boutique fermée au publique. Je me rappelle m’être senti très privilégié de pouvoir rester et de pouvoir goûter à ce 1979, mon premier 1979. Un grand moment.
Après cette petite mise au point, je vais pouvoir vous parler de quatre autres rhums de Martinique du millésime 1979 ; que je n’avais jusqu’alors jamais goûté. J’avais précisément amassé ces quatre échantillons en prévision d’une telle dégustation.
Bally 1979 – 45%

Le premier nez nous emmène directement en Martinique ! Il semble avoir à offrir un condensé de ce qui fait un vieil agricole : des agrumes bien mûrs, un boisé léger, des épices douces et des fruits jaunes. Une première impression très positive entre classicisme, gourmandise et fraicheur. Avec un peu plus de repos, deux éléments s’intensifient : le bois et la fraicheur, qui se fait presque mentholée et qui est accentuée par de subtiles notes florales. Sur le second nez, ce Bally offre une déferlante de tabac et le bois gagne encore en intensité. De manière générale il gagne en puissance, autant aromatique qu’alcoolique et perd en équilibre tout en affirmant son caractère. Trente minutes de plus et ce sont les fruits à coque qui apparaissent, alors que le tabac est rentré dans le rang, pour un équilibre retrouvé – je le préfère comme ça.
L’attaque est relativement puissante et végétale, puis tout se met en place. Boisé (bien présent), sucre roux, orange, tabac, épices et notes torréfiées, tout le monde est au rendez-vous. Sur la seconde gorgée, on confirme son côté végétal et l’alcool un tout petit peu trop fort.
La finale est longue et à mi-chemin entre torréfié et végétal. Le boisé assèche un peu la langue sur une impression pas si agréable que ça. Une petite pointe de sucre brûlé conclue la dégustation.
Un rhum très changeant sur les différentes étapes de la dégustation et le temps passant. Une belle expérience mais pas exempte de fausses notes.
Depaz 1979 – 45%

Le premier contact sur ce Depaz est un peu moins opulent que sur le Bally et également plus végétal. Le boisé est plus discret et l’agrume ici est plus sur le zest, apportant un surcroit de fraicheur. Une pointe d’amande conclue ce premier nez, un peu plus timide que sur le rhum précédent. Plus de temps dans le verre ne semble pas changer son profil, nous allons voir ce que le deuxième nez lui apporte. Là aussi, une fois le rhum étalé sur les parois du verre, l’alcool ressort un peu et bien que son intensité augmente, il demeure plutôt sur la finesse en gardant les marqueurs trouvés précédemment mais en y ajoutant de timides fleurs.
La bouche est tendue, un peu comme sur le vieux XO de la maison. Très droite, elle manque un peu de gourmandise et de chaleur. Il donne l’impression de marcher sur une corde raide, sans aucun pas de côté, c’est même un exemple du genre. Malheureusement il est un peu trop sévère et lui manque la notion de plaisir.
La finale, moyennement longue, reste sur un boisé sec et même si un bref passage torréfié est de la partie, on reste sur ce côté tendu et (trop) sérieux.
Cette dégustation est logique : un nez un peu austère, une bouche tendue et une finale qui continue sur cette lancée. Il ferait presque penser que le degré de coulage était trop élevé. Une déception que ce Depaz 1979 et alors que c’est la dernière bouteille qui me manque pour la collection de agricoles de mon année de naissance, je ne suis pas sûr de continuer à la chercher.
Trois Rivières 1979 – 45%

Le premier nez ici est d’emblée plus boisé, avec même un petit quelque chose de bois neuf (étonnamment). La fraîcheur n’est pas en reste mais est bien équilibrée par une note torréfiée/ L’orange – encore elle – est ici confite. C’est le plus chaud des trois. Avec le temps le chêne neuf devient un peu liège et une discrète pointe de poivre fait son entrée. L’aération lui fait beaucoup de bien, et sur le deuxième nez il devient plus tropical, plus gourmand et comme plus « lié ». Des nouveaux acteurs entrent en scène : amande, épices douces, tabac et un peu de vernis. Tous les arômes sont entremêlés et offrent une trame bien en place et très agréable.
La bouche est étonnante, sur un boisé entre neuf et poudré ; un peu déstabilisant. On retrouve les épices douces, l’amande et un tour de moulin à poivre mais c’est le fût qui domine. Ce fût malgré tout plutôt gourmand un peu trop présent. Une pointe de piment réveille les papilles et les fruits exotiques qui sont présents, sont trop timides. Surprenante cette bouche.
La finale va vous accompagner un long moment. Cette impression pimentée engourdit un peu la bouche et le boisé domine toujours mais est épaulé par le clou de girofle et la cannelle. Puis surgit une facette végétale assez intense ; c’est cette dernière, alliée aux épices douces et à une pointe de sucre brûlé qui clôt l’expérience.
Comme souvent, je prends plus de plaisir sur le nez et c’est le cas sur ce Trois Rivières (qui est encore différent des autres millésimes des années 70 dont je vous parlais il n’y a pas si longtemps). La bouche et la finale sont un peu « étranges » et leur manque cette notion centrale qu’est le plaisir.
Saint James 1979 – 43%

Le premier nez du Trois Rivières était le plus chaud, celui-ci est le plus exotique ! La mangue, la papaye et l’ananas sont très gourmand et le boisé qui est ici proposé l’accroit encore. Une touche de vanille et une pincée d’épices douces complètent cette très belle première impression. Il évolue les minutes défilant, offrant en prime du jus d’orange et du café. Il donne vraiment envie. Une fois le verre enrobé du liquide, il tend, comme le Bally, à devenir plus sombre, surtout du fait du tabac et de sa facette torréfiée qui prend désormais une belle place, avec du cacao et un peu de noix. L’impression de jus d’une orange bien mûre, acide et sucrée, demeure. Il est toujours très riche et attirant.
La bouche l’est tout autant : riche et attirante. Quelle intensité et quelle opulence ! A l’intersection d’un boisé prononcé, des fruits exotiques, du cacao, de la noix, des épices pas si douces que ça… Cette bouche est très pleine et vous envoie un uppercut au palais. Un vrai plaisir !
La finale est longue et chaleureuse, très torréfiée et boisée mais sans jouer la surenchère et sans être écœurante. Sa texture cacaotée poudre légèrement la langue, telle une caresse.
Vous l’aurez compris, ce Saint James 1979 m’a conquis ! La qualité des Saint James d’antan est extraordinaire – souvenez-vous ma dégustation de ceux des années 80. Magique.

Quatre rhums très différents les uns des autres, pour du moyen, du bon et de l’exceptionnel. Si je devais établir un classement, le bas du tableau serait vraisemblablement occupé par le Depaz, suivi du Trois Rivières. En seconde place, le Bally pointerait le bout de son bouchon et le saint James serait, sans conteste, le grand vainqueur. Et y en intégrant le La Mauny, je pense qu’il ravirait la deuxième place au Bally, sans mettre en danger le grand champion.
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