Je vais vous parler de rhums un peu particuliers aujourd’hui. En effet tous ces rhums ont passé plusieurs mois en mer, durant leur voyage des Antilles vers l’Europe. C’est un bord du voilier (je ne vais pas me risquer à être plus précis sur le type de bateau dont il s’agit ^^) le Tres Hombres, que quelques fûts ont traversé l’Atlantique pour se retrouver dans nos verres sur notre vieux continent.

Le Tres Hombres
Mais pourquoi je vous parle de tout ça ? Pour le rhum bien sûr, mais aussi du fait des valeurs fondatrices de ce projet de cargo à la voile : faire le lien direct entre producteurs et consommateurs et proposer une alternative aux modes de transport actuels pour limiter leur empreinte sur l’environnement. Ils défendent un commerce équitable et durable. Comment ne pas adhérer ?
Les Frères de la côte est la société importatrice des produits transportés par le Tres Hombres. En effet, il n’y a pas que du rhum qui part en croisière : café, cacao, thon en conserve sont d’autres produits que le bateau ramène dans ses filets.
C’est François Mangin, l’un des capitaines du voilier, qui m’a contacté il y a quelques semaines pour savoir si je serais intéressé par déguster certains de leurs rhums. Je connaissais déjà le Tres Hombres et ses rhums mais n’avais jamais pu y goûter et c’est donc avec plaisir que j’acceptais qu’il m’envoie des échantillons.
Passons donc à la dégustation de ces cinq rhums.

Rhums Tres Hombres – samples
Tres Hombres édition 11 – 40.4%
Ce rhum est issu d’une distillation de pur jus de canne sur une colonne en cuivre à 6 plateaux. Il vient de la distillerie Aldea sur l’île de la Palma dans les Canaries. Il est ensuite mis en ex fût de Sauvignon pour le transport sur le Tres Hombres ; la traversée durera 6 mois.
Au nez, c’est avant tout le jus de canne qui ressort, une canne douce et florale. De discrètes notes boisées et vanillées accentuent cette rondeur ; le faible degré alcoolique va aussi dans ce sens. Avec un peu de repos, il gagne un peu en fraicheur sur des notes végétales et de citron vert, ce qui équilibre l’ensemble en le réveillant un peu.
En bouche, l’attaque est ronde (mais pas sucrée pour un sou) et l’on retrouve vraiment une continuité avec le nez, sur une dominante de canne florale. L’alcool n’est pas absent mais très discret et gagne en intensité au fil des secondes en bouche. Le fût ici n’apporte rien aromatiquement mais influence la texture, qui se fait plus onctueuse.
La finale est relativement longue, avec là encore des arômes floraux et de canne au premier plan. Les quelques mois passés en mer en fût de sauvignon se font sentir avec un léger boisé vanillé.
Toujours intéressant de déguster un rhum d’une origine que l’on ne connait pas bien. Je me souviens avoir dégusté les rhums Aldea lors d’un Rhum Fest et certains rhums de leur gamme m’avaient laissé une bonne impression.
Tres Hombres édition 12 – 42.2%

Tres Hombres – Edition 12
Issu de la même habitation que le précédent, celui-ci aura été vieilli suivant la méthode solera pendant plusieurs années (toujours compliqué d’indiquer un âge précis avec ce type de vieillissement). Il s’agit toujours d’un pur jus, distillé sur la même petite colonne.
Au nez, bien qu’étant à nouveau sur un rhum de chez Aldea, nous sommes assez loin d’un profil de rhum vieux agricole. Ici, on est plus proches des sensations du monde des rons et rums légers, avec une dominante douce, que l’on imagine même sucrée (on verra bien). Ces sont donc naturellement des arômes de vanille et de caramel qui sont au premier plan, mais sont également présentes des notes d’orange, de bois, de noix de coco et de fruits à coques, ces trois derniers étant un peu en retrait. Pour finir, je me suis demandé si celui-ci n’était pas aussi transféré en fût ayant précédemment contenu du vin pour le transport, car il dégage quelques arômes de silex/poudre à canon. L’ensemble est léger, mais tout de même bien plus complexe que bon nombre de rons.
En bouche, il est relativement doux mais sans excès. Il est plus équilibré que ce que j’imaginais, tout en gardant ce profil léger, sur un mélange vanille, bois, coco, orange, dans cet ordre. L’alcool est bien dosé.
La finale, se fait plus un peu plus sucrée au début mais on repart sur un profil plus sec par la suite. On y retrouve la vanille, alors que le bois et l’orange gagnent en présence. Une surprenante et bienvenue note salée se fait remarquer.
Un nez pas inintéressant sur un rhum léger et une bonne alternative à un paquet de rhums de tradition espagnole de par sa complexité supérieure à beaucoup d’entre eux et son sucre mesuré.
Tres Hombres édition 13 – 43.1%

Tres Hombres – Edition 13
On change d’horizons pour retrouver une distillerie que l’on connait mieux : Foursquare à la Barbade. Il passe 8 ans sur place en fûts de Bourbon avant d’être, lui-aussi, transféré en fûts de Sauvignon pour son rapatriement en bateau.
Au nez, nous avons un profil gourmand et sec à la fois. On retrouve les arômes souvent trouvés sur des rhums de la Barbade, avec la noix de coco, de vanille, d’orange et de bois. Cet ensemble est très sec et frais, même un peu acide sur des notes de distillation. Pour finir, on y trouve l’influence des fûts de vin blanc utilisés pour le transport sous forme de poudre à canon. Ce nez est assez expressif, malgré la réduction à 43.1%, qui ici, ne gêne pas.
En bouche, on retrouve le trio gourmand et gagnant : coco, vanille et bois. Il parvient malgré tout à développer de la fraicheur et on y retrouve la poudre à canon, qui apporte un peu plus de complexité.
La finale est longue, très longue même, et garde un profil intense (et sec) un bon moment. C’est là encore notre trio qui nous accompagne et on le mâcherait presque. Au bout d’un moment, un discret tabac vient nous titiller le palais.
Un rhum de la Barbade qui se donne des airs de Bélize. Ce n’est pas la première fois que je peux trouver un parallèle entre ces deux origines mais là c’est encore plus frappant.
Quoi qu’il en soit un rhum qui fait son effet et qui m’a bien plu dans sa simplicité gourmande. Une réussite.

Rhums Tres Hombres
Vieux-Rhum batch 1 – 60.1%
Un autre rhum de mélasse, de République Dominicaine celui-ci. Son vieillissement se fait aussi selon le système solera, avec le rhum le plus vieux âgé de 18 ans et il est embouteillé brut de fût à 60.1%. Il n’y a pas de sucre ajouté à l’embouteillage mais comme on va le voir à la dégustation, l’édulcoration doit se faire à une autre étape.
Au nez, le profil n’est pas si commun. Nous sommes face à un rhum chaud, torréfié sur le chocolat et caramélisé. Il n’est pas dénué d’une certaine fraicheur, qui vient peut-être du fort degré alcoolique, bien que ce dernier paraisse discret. Ce nez laisse entrevoir une bouche épaisse, quelque peu engluée dans la mélasse et le caramel, espérons qu’il ne soit alors pas trop déséquilibré.
En bouche, l’attaque est sirupeuse, tant sur la texture que sur la sensation sucrée. L’autre information qui vient heurter vos papilles est la puissance alcoolique, qui, ici, se fait bien sentir. Malheureusement, le sucre et l’alcool ne s’équilibrent pas vraiment. Les notes principales sont la vanille, le caramel, l’orange et le chocolat.
La finale moyennement longue, reste sur cette sucrosité et ce profil chaud, torréfié et lourd.
Pas à mon goût celui-ci. Sucré, à l’alcool trop présent, vraiment pas mon style. Il a cependant un intérêt principal, outre le nez atypique : il s’agit du premier rhum de la gamme qui n’est pas simplement un embouteillage, un des capitaines du Tres Hombres ayant participer à l’élaboration de celui-ci. Si cette expérience vient à se renouveler avec d’autres rhums, nous pourrions avoir d’intéressantes surprises, surtout s’ils sont à nouveau en brut de fût. Avec moins de sucre – et peut-être sur d’autres distilleries – cela pourrait donner de belles choses. A suivre.
Antan Lontan batch 2 – 54.3%

Rhum Antan Lontan (Bielle) – Une vraie réussite que cette série naissante des Antan Lontan
Direction Marie Galante maintenant et la distillerie Bielle pour un rhum distillé en 2008 et vieilli 8 ans en fûts de bourbon. Il a ensuite passé 12 mois à bord du Tres Hombres avant de vieillir 1 an de plus à Saint Etienne. Pour information, il s’agit de la même série de fûts que Cavavin a utilisé pour son embouteillage il y a quelques mois de cela.
Au nez, je retrouve cette typicité Bielle brut de fût que j’aime beaucoup. J’ai déjà dû vous le dire, chez Bielle, il y a pour moi deux profils différents avec d’un côté les 2003, 2007, 2008 et 1994, que j’aime tous et de l’autre… les autres, qui sont bien moins à mon goût. Celui-ci fait d’emblée parti du premier groupe. Il s’agit bien sûr d’un pur jus de canne, avec des arômes de réglisse, de bois, d’orange, de vanille et de sucre roux, pour un ensemble, frais, équilibré et intense. J’aime ! S’y décèlent aussi de discrètes notes médicinales et d’herbes aromatiques.
En bouche, il en occupe rapidement chaque recoin et il correspond bien au nez, pour une sensation intense, sèche et gourmande. L’alcool discret sur l’attaque gagne en puissance si on le garde un peu trop longtemps, mais est équilibré par une légère impression de douceur. Un dernier élément, sur lequel j’ai du mal à mettre des mots, apparait, comme une impression « huileuse ». Non, ce n’est pas vraiment ça mais c’est le mieux que je puisse faire pour la décrire ^^
La finale est assez longue sur ce quatuor réglisse, boisé, orange et sucre roux, qui aura vraiment mené la danse du début à la fin.
Les amateurs de Bielle seront servis avec ce batch 2 du Antan Lontan. Moi il m’a plu ! Et le batch 1 que j’avais pu goûter lors du Salon Dugas l’année dernière, m’avait semblé encore meilleur, c’est dire 😊

Rhums Tres Hombres et des pieds
Et voilà pour ce tour d’horizon d’une bonne partie des embouteillages Tres Hombres, et ce qui est sûr c’est qu’il y en a pour tous les goûts ! 🙂 Alors allez-y, essayez les rhums équitables à empreinte zéro carbonne 😉
Merci de cette dégustation, cela fait envie (surtout l’Antan Lontan), le Tres Hombres a un gréement de Brick-Goélette et n’a pas de moteur à bord (les ancres sont remontées au palan).
Ci dessous-un lien vers une vidéo sur le chargement de fûts “frères de la côte” depuis Bielle jusqu’à bord du Tres Hombres :
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Ah ben voilà, me voilà moins bête.
Merci pour cette info et cette très jolie vidéo ! 🙂
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C’est vrai que cela donne envie de faire un tour à Marie-Galante !
Irez-vous ce week-end au salon de la gastronomie d’outre-mer porte de Versailles ? La liste des exposants n’est pas disponible sur le site mais je ne doute pas que les rhums des Antilles, de Guyane, de la Réunion, de Polynésie Française (invité d’honneur) soient représentés. Il parait que la Nouvelle-Calédonie s’y met aussi mais il ne seront peut être pas au salon.
http://sagasdom.com/
Hélas je n’y serai pas mais je me rattraperai à Saint-Malo en fin d’année.
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