Voilà une série qui est un peu passée inaperçue lors de sa sortie, alors que lorsqu’on voit la couleur des bouteilles, on se demande comment c’est possible…
Quoi qu’il en soit, El Dorado continue de sortir des rhums aux doux noms d’alambics qui font rêver. Vous connaissez sans aucun doute la gamme classique, avec les 12 (le rhum qui m’a fait tomber dans le Rhum avec un grand R), 15 et 21 ans mais depuis quelques années, Demerara Distillers Limited tente – sans grand succès – de faire renaître le mythe des ovnis sortis par Velier. Tout est loin d’être mauvais dans cette Rare Collection, avec par exemple le dernier Skeldon qui se défend bien (tout comme son prix…). Cependant, ce qui est souvent reproché aux nouveautés-DDL-haut-de-gamme-vendues-chères-mais-avec-des-noms-d’alambic-trop-stylés, c’est d’ajouter du sucre et ainsi de gâcher des trésors. Il faut savoir que la distillerie du Guyana dispose de stocks immenses parmi lesquels doivent nécessairement dormir des trésors immémoriaux. Trésors qui sont déjà utilisés en grande partie pour la réalisation de leurs assemblages, surtout le 21 ans, puisqu’il s’agit de l’âge minimum des éléments utilisés pour l’élaboration de ce blend. On aurait donc pu s’attendre à ce que les Rare Casks soient présentés non édulcorés mais tel ne fut pas le cas (ou en tout cas pas pour tous). Cette attente, beaucoup d’amateurs des Demerara Velier la partageaient et tout le monde est tombé de plus ou moins haut en dégustant les premières sorties – les espoirs étaient très hauts. Je vous en parlais dans cet article avec le Versailles 2002, le Port Mourant 1999 et l’Enmore 1993, puis dans cet article-ci avec deux sorties ultérieures, l’Enmore 1996 et le Port Mourant 1997.
Cette fois-ci El Dorado s’est essayé à l’élaboration d’assemblages avant le vieillissement ; nous avons donc des jus issus de différents appareils à distiller mis à vieillir ensemble en fût, sur le mode de certains des derniers Velier sortis, comme l’Enmore & Port Mourant 1998 (une franche réussite). Voyons voir ce que ces quatre hybrides façon Bioman ont sous le bouchon !
El Dorado – Uitvlugt Enmore 2008 – 47.4%

1er nez : coco, noix, balsamique
2ème nez : vanille, touche torréfiée ; un peu simple mais dégage une énorme gourmandise et une belle concentration, on imagine le liquide collant ; pruneau, tabac et orange confite avec de l’aération
Bouche : attaque sucrée (trop), ce sucre sature un peu les papilles, on retrouve le côté torréfié et la vanille, puis la noix et le coco ; alcool bien (même s’il pique un peu, il donne l’impression que cela est dû au sucre plus qu’au degré alcoolique) et il envahit bien la bouche
Finale : la langue garde cette sensation de sucre ajouté, puis le boisé, la vanille et le tabac perdurent ; asséchant/tannique (légère amertume) et moyennement longue
Le nez m’avait séduit, on n’était sur un Bélize, un Uitvlugt Velier mâtiné d’Enmore mais la quantité de sucre lui fait vraiment du mal. Pourquoi ?!
El Dorado – Port Mourant Uitvlugt Diamond 2010 – 49.6%

1er nez : coco, boisé sec, vanille, touche de zest d’orange, pointe végétale/savonneuse
2ème nez : accentue la concentration et fait ressortir sa nature chaude/sombre mais aussi gourmande, avec apparition de la noix, touche d’amande amère, réglisse (le savon disparaît puis revient avec du repos)
Bouche : attaque vive avec une salinité surprenante, suivie par un peu de sucre (l’un et l’autre s’accentuent et se font ressortir mutuellement, ce qui n’est pas forcément un bien), torréfié, amande amère, pointe cuivrée, on peut le garder en bouche un moment
Finale : assez longue sur un boisé qui nous fait penser que le fût était carbonisé, sensation salée reste, café, coco timide et réglisse
Si ce n’est cette pointe savon sur le premier nez, il n’est pas trop PM ce blend et tant mieux. Grosse surprise sur cette sensation saline, qui lui apporte quelque chose de singulier et il est heureusement moins édulcoré que le précédent.
El Dorado – Diamond Port Mourant 2010 – 49.1%

1er nez : caramel, boisé gourmand à la chauffe élevée, plus frais et plus timide que les deux précédents
2ème nez : fait ressortir l’alcool mais aussi une vanille bien grasse ; il a quelque chose d’un peu piquant (peut-être le savon PM ou le sucre, dans les deux cas, ça ne fait pas rêver) ; les fruits exotiques juteux ne sont pas bien loin ; voile beurré et touche de tabac avec l’aération, praliné noix/noisette en bonus
Bouche : attaque sucrée, qui associée à l’alcool le rend un peu piquant, c’est le chêne toasté qui domine mais qui est épaulé par les fruits à coque et le caramel
Finale : on garde cette idée de fût carbonisé avec des notes de torréfaction mais ce qui demeure également c’est cette rondeur trop marquée
Très Demerara que ce Diamond PM : boisé sombre et gourmand, fruits à coque torréfiés, caramel/vanille, c’est bien foutu et agréable, si ce n’est pour tout ce sucre… POURQUOI ?!
El Dorado – Port Mourant Uitvlugt 2010 – 51%

1er nez : boisé (qu’on imagine carbonisé encore une fois), café, pointe balsamique, registre sombre mais sans excès
2ème nez : accentue l’intensité et la gourmandise avec du coco et quelque chose qui fait penser au jus d’un ananas gorgé de sucre et collant (prêt à éclater sous les doigts), pointe de cendre et fruits à coque sans perdre sa nature sombre pour autant
Bouche : sur la rondeur et une texture moins concentrée/épaisse que les trois autres, les arômes cependant sont bien là avec – encore eux – le chêne, la vanille, le torréfié et les fruits à coque
Finale : la douceur reste et le sucre empâte même un peu la bouche, on perçoit tout de même bien le fût sur cette finale, relativement asséchante.
Encore une fois, des marqueurs Demerara assumés mais où l’expérience est un peu gâchée par le sucre, quel dommage. POURQQUUOOOOOOIIIIIIIIIII ?!
Qu’est-ce qu’on peut dire d’une telle dégustation ?
La déception est encore au rendez-vous, d’autant plus qu’on perçoit vraiment le potentiel de ces jus, dont les profils sont altérés, voire écrasés par le sucre. A noter la similitude qui existe entre ces rhums, les quatre sont proches, et si ce n’est le Port Mourant Uitvlugt Diamond, qui parvient à se singulariser quelque peu, les trois autres suivent la même trame. Il est d’une certaine manière logique que des assemblages aient tendance à gommer un peu leurs différences mais là nous sommes au-delà d’un simple parallèle, tant certains d’entre eux sont comparables.
Au final, cela donne l’impression qu’il y a chez DDL la volonté de flinguer leur potentiel et c’est bien triste. Je vais boire un Velier pour me remonter le moral !