Ampov, le rhum made in Cambodge

Parmi les choses qui m’enthousiasment le plus dans l’univers du rhum, il y a les provenances rares. Alors si en plus, on parle jus de canne, je deviens tout foufou.
Depuis des années maintenant, on voit fleurir des rhums originaires d’Asie du Sud-Est, avec, entre autres, quelques productions de pur jus. Thaïlande (Issan, Chalong Bay), Vietnam (Sampan), Laos (Laodi), les producteurs se multiplient, avec souvent, à l’origine des projets, des petits français. C’est le cas d’un nouveau venu : Ampov.

Ampov Rhum - Champ de cannes
Ampov Rhum – Champ de cannes

C’est au Cambodge, qu’un français (décidément) a décidé de se lancer dans l’aventure. Ralph Meyer, passionné de rhum, a fait connaissance avec ce pays lors de missions humanitaires. Je vous laisse lire l’article de Rumporter consacré à la naissance du projet. C’est un autre français (re-décidément) que l’on connait bien, qui fera office d’expert et de conseiller : Guillaume Ferroni (il est partout !).

Les cannes, toutes proches de la distillerie, sont pressées le jour de la coupe. Le jus est mis à fermenter pour une durée de 4 à 5 jours. Le vin de canne est distillé de manière discontinue, en deux passes, pour obtenir un brut d’alambic titrant un peu plus de 70 %.

J’ai eu la chance de recevoir cinq échantillons : trois rhums blancs pur jus et deux rhums de mélasse (locale) élevés sous bois. Dégustons !

Ampov Rhum Blanc 2023 – 42 %

Ampov Rhum Blanc 2023 – 42 %
Ampov Rhum Blanc 2023 – 42 %

Déjà très expressif pour son pourcentage alcoolique, avec une canne qui domine clairement le profil. Grasse et fruitée, elle se fait très engageante. On reconnait le pot still immédiatement, sans que son empreinte soit trop marquée. Les notes marines et métalliques sont mesurées, juste ce qu’il faut pour que l’on n’ait pas l’impression d’être sur une plage bretonne à marée basse. Elles laissent beaucoup de place aux fruits exotiques, qui s’installent durablement. L’alcool semble très discret et l’ensemble est frais. Avec du repos, ce sont définitivement les fruits exotiques (et les agrumes) qui l’emportent, ils passent même devant la canne d’une courte tête. Le second nez lui donne un coup de peps, sans changer son profil aromatique. Seul bémol, la typicité jus de canne distillé sur petit alambic (marin et métallique) connait un certain regain de vigueur et se voit rejoint par un peu d’anis.
La bouche continue malheureusement dans cette veine très marquée par le pot still. La canne est là, l’intensité aromatique est assez remarquable et l’alcool discret, mais cela ne suffit pas à mon palais pour y trouver du plaisir.
Une touche salée (qui va jouer les prolongations) nous fait entrer dans cette finale, sur laquelle une canne végétale non dénuée d’amertume jour des coudes avec les arômes métalliques et marins.

Vous l’aurez compris, le nez m’a plu, surtout grâce aux fruits exotiques très marqués. Mais voilà, la dégustation se prolongeant, ces derniers tendent à disparaitre au profit du profil typique des purs jus non distillés sur colonne créole.

Ampov Rhum Blanc 2023 – 55 %

Ampov Rhum Blanc 2023 – 55 %
Ampov Rhum Blanc 2023 – 55 %

On change radicalement de profil avec l’augmentation de la puissance. Moins frais, il se livre plus profond, plus plein et la canne occupe là encore le centre de la scène. Cette fois-ci, elle ne compte pas partager la vedette, et l’appareil à distiller ne transparait pour ainsi dire pas au nez (je ne sais pas ce que j’aurais dit à l’aveugle). On se rapproche alors de nos références antillaises, dans ce qu’elles ont de meilleures. Les minutes s’égrenant, la canne – qui ne compte pas se faire déloger – devient de plus en plus confortable et moelleuse (j’en connais un qui parlerait sans doute de marron glacé). Étaler le liquide sur les parois du verre, redonne au rhum une certaine vivacité et c’est certainement là que le pot still ressort le plus (mais toujours modérément). Même avec ce regain de puissance, l’alcool parait toujours être maitrisé. Un superbe nez.
L’attaque est incisive, dans le bon sens du terme. Les arômes se propagent rapidement et l’alcool sert ces derniers. On retrouve cette canne qui m’a tant plu de prime abord, bien qu’elle se révèle moins grasse que prévu. La sucrosité est discrète, mais empêche le rhum de sombrer dans une certaine austérité. Au fil des gorgées, il prend de l’ampleur, la texture devenant plus épaisse et la suavité plus marquée (sans excès). Une petite pincée de poivre se balade en milieu de bouche.
La finale est sèche, toujours avec la matière première qui domine et qui se voit rejointe, dans un premier temps, par une bouffée agrumée, avant que le sel n’apparaisse.

Pas de déception ici. Après un nez hyper engageant, la bouche ne déçoit pas – à condition de ne pas s’arrêter à la première gorgée, ce qui n’est pas vraiment un problème, n’est-ce pas ?

Ampov Rhum Blanc Wild 2023 – 55 %

Ampov Rhum - Les cannes
Ampov Rhum – Les cannes

Cette troisième expression non vieillie dévoile à nouveau un tout autre visage. Un pur jus de canne avec un petit quelque chose de jamaïcain ou d’haïtien ? La fermentation particulière (utilisations de levures sauvages, naturellement présentes sur la canne) a dû être plus longue. Se sont alors développés d’autres arômes et la canne – toujours centrale – présente de légères notes lactées, d’olive et de solvant, que l’on devine à peine. Très bien dosées, elles ne prennent pas le pas sur notre canne à sucre, qui se fait un peu plus végétale que sur les deux expressions précédentes. Le temps passé dans le verre lui octroie plus de gourmandise, la canne se faisant végétale, fraiche et fruitée. Sur le deuxième nez, on retrouve l’anis de la version à 42 % et, comme sur le classique à 55 %, c’est à ce moment-là que l’alambic utilisé se manifeste le plus. L’ensemble (son côté sauvage que l’on connait sur d’autres provenances ne disparait pas) est inédit et donne envie.
Dès l’attaque, on retrouve ce nez complexe, intriguant et gourmand. De plus, texture et douceur sont de la partie et ses 55 % lui vont bien. Beaucoup de choses se passent et beaucoup d’arômes cohabitent : canne, anis, citron, olive (juste un peu)…
La finale nous prend par la main et nous ramène vers ce que le nez de ce rhum avait de plus inattendu avec ces notes dues à sa fermentation particulière. Assez sèche, elle s’avère plutôt longue.

Ben, c’est pas mal du tout cette affaire. Plaisir et originalité se tiennent la main pour une expérience inédite.

Ampov Rhum Ambré (ex-fût de cognac) 2022 – 40 %

Ampov Rhum - Les fûts en place pour le vieillissement
Ampov Rhum – Les fûts en place pour le vieillissement

On sent que la mélasse utilisée avait du caractère. Vraisemblablement pas distillée à très haut degré, elle a gardé suffisamment d’arômes pour ne pas se laisser effacer par le fût. Nous avons de la fraicheur, des fruits mûrs (dont la poire), et un boisé légèrement beurré. On sent l’impact non seulement du pot still mais aussi d’une fermentation qu’on imagine relativement longue. Ce sont ainsi des notes légèrement métalliques et empyreumatiques qui se révèlent. Le repos accentue son visage chaleureux, avant que le second nez ne le cale à nouveau dans le profil que nous avions trouvé au premier contact. Il n’est pas sans rappeler certains rhums blancs de métropole qui tentent de se rapprocher des rhums jamaïcains à la longue fermentation. Heureusement, ici, c’est moins extrême et j’imagine que le boisé atténue un peu cette facette.
Le boisé est finalement plus marqué que prévu, il domine sur l’attaque et le milieu de bouche grâce à ses notes beurrés et vanillées. Le distillat est relégué au second plan et j’aurais presque tendance à dire « tant mieux ». Il ne disparait pas pour autant et revient dès la fin de bouche.
Le jus ne comptait pas rester sur le banc bien longtemps et reprend rapidement les rênes sur la finale. Bien que la facette empyreumatique ne soit pas désagréable, il y a ensuite trop d’olive alliée au sucre roux pour que cela me plaise.

Il y a du bon et du moins bon à mon goût. N’étant pas un grand amateur de la plupart des rhums de mélasse à longue fermentation (oui, il y a des exceptions, surtout jamaïcaines) distillés en discontinu, celui-ci ne m’aura pas convaincu.

Ampov Rhum Ambré (ex-fût de cognac) 2022 – 45 %

Ampov Rhum - Le coulage
Ampov Rhum – Le coulage

Les quelques pourcents d’alcool en plus, accentuent sensiblement l’impact de l’élevage. Les accents boisés et vanillés prennent de l’ampleur, sans écraser la matière première cependant. L’alcool parait bien dosé, ce qui permet d’y plonger allègrement le nez pour aller chercher les arômes de poire, d’épices, ainsi que la touche métallique. On commence aussi à y détecter la naissance de notes torréfiées. Le repos confirme qu’il fait plus que son âge, ou en tout cas, plus que l’âge de la version à 40 %. Plus rond, il s’éloigne encore un peu de ces rhums hexagonaux de mélasse, tant mieux. Enduire les parois du verre ne changera pas grand-chose.
En bouche aussi, il semble plus abouti que le précédent, plus chaud et au boisé moins jeune. L’union du fût et du distillat se fait mieux, surtout en milieu et en fin de bouche.
Il faudra plus de temps au jus pour mettre la main sur cette finale, mais cela se fera néanmoins, avec ce duo olive et sucre roux (j’aime bien le sucre roux normalement, mais ici, avec cette saumure, pas vraiment).

Oui, je le préfère à ce degré et oui, je pense que l’ex-fût de cognac est une bonne idée. Cependant, il faudra attendre plus longtemps pour que le mariage soit consommé et que les deux époux s’entendent.

Et voilà pour ce petit tour au Cambodge et ce premier contact avec les rhums Ampov. Comme vous avez dû vous en rendre compte, même si tout n’a pas entièrement été à mon goût, les deux blancs à 55 % m’ont beaucoup plu ! Je vais définitivement suivre ce qui sort de cette nouvelle distillerie du Cambodge.

Ampov Rhum - Le Cambodge
Ampov Rhum – Le Cambodge

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