Ce n’est pas la première fois que je vous parle de cet embouteilleur français. Tristan Prodhomme, le fondateur de la marque (caviste à Rennes, qui embouteille rhums et whiskys) a commencé à nous régaler de ses sélections il y a presque 10 ans ! Depuis, plusieurs séries ont ponctué cette petite décennie, avec des rhums souvent originaux et régulièrement en avance sur les modes.
Si vous voulez vous faire une petite séance de rattrapage, je vous invite à aller lire mes articles sur les séries 2016 et 2017 ou encore le comparatif de rhums de Bélize chez différents embouteilleurs indépendants.
Je n’avais pas eu l’occasion de déguster les sorties 2020, je remercie donc d’autant plus Tristan de m’avoir fait parvenir les échantillons qui m’ont permis de les découvrir.
Au programme, six rhums, tous bruts de fût (voire d’alambic) en provenance de cinq pays différents. On y va !

L’Esprit Foursquare 2005-2020 – 60.5%

Le premier nez est très Barbade, avec son cortège de coco grillé, de vanille et de boisé américain. Il est étonnamment expressif et, en plus des usual suspects, nous avons aussi des agrumes, un peu de cacao et un côté crémeux du plus bel effet. Ça commence bien et ça donne envie. Le deuxième nez accentue la facette torréfiée et fait également ressortir les fruits à coque (eux aussi torréfiés). Ça donne encore plus envie.
Il prend immédiatement possession de la bouche grâce à sa concentration assez remarquable, sans que l’alcool ne dérange. On retrouve nos acteurs gourmands et attachants, qui tentent (avec succès) de nous faire revenir sur le verre.
La finale suit de manière logique les précédentes étapes de la dégustation, avec un boisé vanillé mâtiné de fruits à coque torréfiés. Ça fonctionne bien.

Simplement bien foutu ce Foursquare, qui sans s’écarter de la trame de cette distillerie, nous embarque un peu plus loin grâce à une belle concentration et à son immédiate envie de nous causer. Belle sélection.

L’Esprit 2020 – Uitvlugt 1999 – 56.4%

Le premier nez est typique de ces Guyana maturés sur le vieux continent : assez léger, végétal, citronné, légèrement médicinal et non exempt d’un côté chimique, genre marqueur. Très peu gourmand (selon mes critères), avec en prime une pointe cuivrée qui n’arrange rien. Une fois le liquide étalé sur les parois du verre, deux nouveaux acteurs entrent en scène : le cacao et l’amande. Oui, cela rend ce rhum plus aimable mais rien de bien conquérant non plus.
Pas besoin d’en prendre une grande lampée pour que l’identité de ce rhum submerge tous les recoins de la bouche. « Malheureusement » pour moi, nous avons en bouche le reflet du nez et même si le fût – probablement carbonisé – se faufile jusqu’au palais, cela ne suffit pas à rectifier le tir. A noter que les gorgées suivantes sont légèrement meilleures.
La finale est longue, ce qui ne m’arrange pas forcément.

Vous l’aurez compris, je n’aime pas ce genre de profil, que l’on croise parfois sur des jamaïcains ou encore des fidjiens.

L’Esprit 2020 – South Pacific 2017 – 51.4% (pas de photo)

Le premier nez me surprend un peu, puisque je m’attendais à quelque chose de pas si éloigné du Uitvlugt et donc à une quasi-absence de gourmandise. Mais alors que le côté esters/marqueur est là, il ne prend pas le dessus et laisse s’exprimer des fruits frais (pomme, ananas, banane, agrumes) et des fruits à coque avec l’amande. De plus, surnage une impression crémeuse plutôt engageante. Rien de neuf sur le second nez mais une gamme aromatique qui s’en voit jouer une octave plus haut.
La bouche est moins fruitée mais plus crémeuse. Pas désagréable mais on regrette un peu notre verger.
Sur la finale, ce rhum des Fidji se fait plus sombre et on imagine une nouvelle fois un fût qui a été fortement toasté. L’impression crémeuse reste présente, pour un duo réussi.

Ce rhum est pour moi un assemblage de pot still et de colonne et tant mieux. L’ajout de rhum distillé sur colonne apporte équilibre et rondeur à la fougue – et au manque de gourmandise (encore une fois, à mon goût) – du pot still.

L’Esprit 2020 – Clarendon 2004 – 66.4%

Le premier nez est très timide, plus que ce que le degré l’alcool me laissait présager. Ce dernier, bien que pas agressif, dissimule quelque peu les arômes, même si la poire se fraye un chemin jusqu’aux narines. Elle est accompagnée de petites touches d’herbes aromatiques. La puissance alcoolique est toute relative une fois le rhum aéré dans le verre, en revanche, les arômes, eux, gagnent en intensité. La vanille occupe désormais une belle place et a apporté dans son sillage une pincée d’épices douces. Définitivement plus gourmand.
L’attaque nous fait nous demander où sont les 66% mais ils se manifestent sans attendre sous un visage pimenté. Légèrement astringent, il occupe bien l’espace et se fait plus fruité. L’alcool chauffe un peu trop tout de même.
La finale prend des accents pâtissiers qui viennent comme apaiser le « feu » de la bouche, qui reste cependant marquée par la puissance.

Un jamaïcain pas très… jamaïcain mais qui marche bien, malgré le degré alcoolique qui se fait sentir.

L’Esprit 2020 – Beenleigh 2014 – 78.3%

Le premier nez ne pique pas les narines comme on aurait pu s’y attendre. L’arôme qui m’est apparu avant tout est celui d’un bonbon arlequin, vite rattrapé par pas mal de vanille et un peu de noix. Le deuxième nez se fait plus sombre avec plus de boisé, des notes torréfiées et une touche de tabac. L’impression bonbon demeure et joue coude à coude avec les nouveaux arrivants. Plus de repos accentue la chaleur et va permettre de lier étroitement les différents arômes entre eux.
La bouche est saisissante ! De puissance, de concentration et de texture (dans cet ordre). Les bonbons deviennent fruits des bois, alors que le fût marque son territoire. Une goutte suffit.
La finale est moyennement longue et l’intensité disparaît tranquillement sur un boisé légèrement tannique et un voile vanillé.

Bon, 78% c’est beaucoup, on ne va pas se le cacher et il faut y aller avec parcimonie mais ça fonctionne bien ! Je me répète mais ce n’est pas encore celui-ci qui va m’aider à cerner la distillerie australienne… Mais je ne m’en plains pas, cela laisse la place à plus d’exploration 😊

L’Esprit 2020 – Jamaican Distillery 2019 (blanc) – 85.6%

Le nez surprend ! Oui, c’est très expressif et funky mais à côté de l’olive et du solvant, on trouve – et pas qu’un peu – des arômes de jus de canne. Qu’est-ce qu’ils font là ? Aucune idée mais ils sont bien là. Il ne faut pas y plonger le nez, bien sûr, mais il n’est pas si agressif que ça malgré tout et offre même un équilibre bien foutu entre notes jamaïcaines typiques et cet étonnant vesou.
La bouche ne demande qu’une goutte pour se voir colonisée par une intensité aromatique exceptionnelle. On retrouve notre jus de canne (distillé sur alambic mais seulement légèrement cuivré) qui apporte beaucoup de gourmandise, appuyée par un côté crémeux. Les fruits exotiques explosent en bouche et se mêlent au vesou pour une expérience rarement vue. Il y a même un peu de sucre – et beaucoup d’alcool, même si on n’imagine pas faire face à un monstre de 86%.
La finale change de registre avec les notes fermentaires qui resurgissent, l’olive en tête. Ah et c’est long, très long.

C’est sans doute le meilleur des rhums blancs de mélasse bruts d’alambic embouteillés par L’Esprit (en tout cas comparativement à ceux que j’avais dégusté lors du Rhum Fest 2018 mais il y en a eu d’autres depuis).

Une fournée 2020 qui m’aura bien plu (si ce n’est l’Uitvlugt), de par son originalité et sa gourmandise. Certains degrés sont à la limite mais – selon moi – ne la dépassent jamais vraiment, un peu de prudence est quand même de mise. Bravo Tristan pour cette sélection et voyons ce que 2022 nous réserve 😉