Comme on fait les choses bien, c’est après avoir jeté un œil en arrière et dégusté les sélections 2020 de chez L’Esprit Rhum, que nous revenons au temps présent pour déguster les toutes nouvelles expressions 2022 de l’embouteilleur rennais. Tristan Prodhomme nous ramène dans son escarcelle quatre rhums, trois origines classiques et une autre plus rare. La Barbade avec Foursquare – attention c’est un 100% pot still, Belize et la distillerie Travellers – un classique chez L’Esprit, Trinidad avec un Ten Cane vieilli – je reviendrai brièvement sur la genèse de ce produit lors de sa dégustation et un Clarendon de Jamaïque – que j’imagine au vieillissement principalement continental.
Avant que l’on ne rentre dans le vif du sujet, si vous souhaitez vous rafraîchir la mémoire sur des embouteillages antérieurs, je vous invite à lire les articles sur la fournée 2016, ceux sur les nouveautés 2017 et bien sûr celui sur les sorties 2020 de l’Esprit Rhum.
L’Esprit Rhum – Cuvées 2022 – Foursquare 2002-2022 – 52%

Le premier nez nous renseigne tout de suite sur l’appareil à distiller : le pot still. On est bien loin du profil typique de la distillerie et ses notes de coco grillé et de vanille. Ici, pas de distillat léger en provenance de la colonne, distillat très influencé par le fût. Nous sommes sur un rhum assez vert, tant sur des notes végétales que les épices. Un nuage crémeux surnage. Après aération, il n’est pas sans rappeler certains jamaïcains continentaux, avec en prime un arôme fumé qui prend une belle place. Ce n’est pas la gourmandise débridée qui l’étouffe.
L’alcool est bien dosé et une légère sucrosité le rend d’autant plus facile. On retrouve notre facette fumée qui se trouve maintenant mâtinée de notes iodées et réglissées. Plus étonnant est l’apparition de l’olive.
La finale est longue, sur ce trio fumé/iodé/saumuré.
Un style dont je ne raffole pas, qui manque de ce qui fait pour un moi un rhum agréable et gourmand. Cela confirme qu’à mon avis le “salut” de bon nombre de rhums se trouve dans l’assemblage pot/colonne.
L’Esprit Rhum – Cuvées 2022 – Travellers 2007-2022 – 64.6%

Nous avons retrouvé notre noix de coco moelleuse qui faisait défaut au Foursquare. Cette gourmandise est accentuée par un caramel bien épais et des fruits secs gorgés de sucre. Une pointe de tabac et une touche d’agrumes complètent ce premier nez. Le deuxième, de matière habituelle sur les Belize, nous livre un profil plus sombre où tout devient comme torréfié et où le tabac prend de l’ampleur. Il donne l’impression d’avoir « épaissi ». Un nez classique et intense de la distillerie.
On en a pour notre argent sur la continuité du nez et de ce profil typique des rhums de chez Travellers. La puissance alcoolique est là mais sans brûlure. La bouche nous propose un joli praliné, toujours le coco grillé, du caramel et une touche de cuir, qui va croître sur la finale.
Cette finale est relativement longue et toujours marquée par la gourmandise mais sans le côté écœurant que l’on peut parfois rencontrer. Le rhum associe noix de coco, cuir, un peu de tabac et une note pâtissière.
Ce n’est pas l’originalité qui le caractérise mais ce n’est pas grave car ce qui fait que l’on apprécie cette distillerie est rondement mené.
L’Esprit Rhum – Cuvées 2022 – Ten Cane 2008-2022 – 63.4%

Le premier nez nous livre un chêne fortement toasté aux accents torréfiés (cacao et café). Les fruits ne sont pas en reste : l’orange est confite et la date sucrée. Une pincée d’épices douces saupoudre l’ensemble. Une identité assez rare sur un registre bien sombre. Avoir étalé le rhum sur les parois du verre ne change pas sa colonne vertébrale mais le rend un peu plus opulent et concentré. Deux nouveaux arrivants tout de même – même s’ils restent relativement discrets – le cuir et l’amande.
Moins sombre qu’escompté, il va même développer une certaine fraîcheur, accentuée par l’alcool – qui se remarque. Serrée, cette bouche est riche et boisée, avec des arômes de café, de cuir et d’épices.
La finale reste à mi-chemin entre d’une côté une réglisse amère bien noire, le caramel sur le point de brûler et le tabac et de l’autre cette étonnante et bienvenue fraîcheur.
Intéressant de voir ce que donnent ces vieux Ten Cane. Je rappelle à toutes fins utiles que ce rhum est un pur jus de canne de Trinidad distillé sur alambic à repasse vieilli 6 mois en fût de chêne français. Créé par Moët Hennessy, il n’avait pas rencontré tellement de succès. Cette version vieillie (on a vu en apparaître chez certains autres embouteilleurs indépendants) est originale (même si on peut établir un parallèle avec certains Diamond bien dark). Il m’a bien plu.
L’Esprit Rhum – Cuvées 2022 – Clarendon 2013-2022 – 67.3%

Voilà un Clarendon dont je n’ai pas l’habitude. Il associe avant tout exotisme fruité (avec du sucre roux en bonus) et note fumée. Ça surprend mais ça fonctionne bien, d’autant qu’une double impression de fraîcheur et de crémeux apporte un deuxième niveau de lecture. Sur le second nez, cette fraîcheur s’accentue, sous des accents herbacés et épicés. Il perd quelque peu de son originalité, alors que le tabac et la vanille s’en mêlent et remplacent, en partie, les fruits exotiques. Avec plus de repos, la facette fumée s’estompe et les agrumes se manifestent.
On débute la bouche sur une attaque herbacée mais très vite, elle se gourmandifie (trop tard, j’ai déjà déposé ce mot) sur des notes de fruits secs et une impression chaude et grillée. La légère sucrosité tente d’apaiser le feu de l’alcool mais n’y parvient que partiellement.
La finale est longue et s’assombrit de plus en plus, en développant plus avant son boisé torréfié, de la réglisse et la fumée qui remonte.
Pas mal, pas mal. Je m’attendais à un classique Monymusk vieilli sur le vieux continent mais il propose « plus » avec des notes d’originalité de-ci de-là et, dans l’ensemble, plus de plaisir. Intéressante sélection.
Voilà pour ces quatre rhums récemment arrivés sur les étagères des cavistes. Un Foursquare pour les amateurs de ce profil 100% pot still, un Travellers typique et bien fait (une habitude chez L’Esprit), une curiosité de Trinidad qui fonctionne bien et un Clarendon au-dessus de la moyenne de ces jamaïcains vieillis en Europe. Bref, une sélection finalement pas si classique que ça.
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